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Un hommage à Édouard de Lépine

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Après les hommages d’usage des personnalités diverses rendus à Edouard de Lépine, Tous Créoles vient dire à la population martiniquaise le chagrin que ses membres éprouvent suite à la disparition de l’un des leurs à un moment où les choses semblent si difficiles à comprendre.

C’est en effet le professeur d’histoire qui, dès que fut créée notre association, est venu éclairer sa démarche.

Edouard bien au fait de la richesse pouvant être tirée de notre histoire nous avait rappelé les propos de Schoelcher : « les deux races formant la population sont destinées par nature à vivre ensemble, qu’elles sont réciproquement nécessaires, qu’en conséquence adhérer au préjugé de couleur qui les partage en deux camps, c’est atteindre la société coloniale dans ses forces vives et la livrer à un malaise perpétuel ; qu’au contraire leur fusion sur le terrain politique et social peut seule assurer le développement de leur prospérité commune. »

Message qui n’était pas inspiré par une douillette philosophie sociale, mais fondé sur la conviction que les Martiniquais restaient englués dans le passé, « parce que nous n’avons pas le courage de trancher sur ce qu’il faut bien appeler l’unité nationale du peuple Martiniquais, »

Aussi parce qu’il nous avait convaincus de « la place que cette nation pourrait occuper dans son environnement caribéen. »

C’est Edouard de Lépine qui nous avait expliqué l’importance historique du discours prononcé le 22 juin 1919, par le député maire de Sainte Marie, Joseph Lagrosillière, au Banquet organisé, au Morne des Esses, par le Parti Républicain Schœlchériste. La reprise de cette commémoration à laquelle nous nous sommes prêtés avec une certaine ferveur qu’il avait su nous transmettre s’est faite à l’occasion du 90ème anniversaire du discours prononcé le 22 juin 1919. Événement que d’ailleurs Edouard dans l’un de ses écrits a qualifié de : «  …banquet socialiste de Tous Créoles ! » à l’occasion duquel, pour reprendre les termes de notre professeur d’histoire bien-aimé, a été renouvelé : « un appel solennel à l’union de tous les martiniquais de toutes origines ethniques ou sociales. »

Edouard nous avait convaincu nous disant que « Si Lagros avait pu réunir 500 convives, blancs et nègres confondus, tout en haut du Morne des S, il y 90 ans, avec les moyens de l’époque, il ne paraissait pas absurde de vouloir en réunir autant dans un grand restaurant du bourg de Sainte-Marie. »

Edouard à l’occasion nous avait fait revenir sur les bancs du lycée, nous expliquant qu’au début du 20e siècle, ni la catastrophe de Saint-Pierre (1902) ni les souffrances partagées dans la boue des tranchées de la grande guerre (1914-1918) n’avaient complètement effacé le souvenir des tensions qui avaient suivi l’insurrection du Sud au lendemain de la proclamation de la IIIème République. Et que, dès la fin de la grande guerre, le député de la Martinique, Joseph Lagrosillière, maire de Sainte-Marie, avait démissionné à la veille de la guerre à cause des propos racistes de deux dirigeants de ce parti. Il avait alors créé, dès son retour à la Martinique, le Parti Républicain Schœlchériste. Edouard nous avait lu le Manifeste du 7 mai et le discours de Lagros du 22 juin pour comprendre les objectifs du nouveau parti : Lagros appelle à l’union sur la base d’un programme Schœlchériste qui s’était battu à la fois contre l’oligarchie coloniale et le « parti des cinquante noirs »…

C’est aussi Edouard qui nous avait pédagogiquement conduit à « associer à cet hommage à Lagrosillière un hommage à Aimé Césaire pour sa contribution au rapprochement entre les deux principales composantes de notre peuple, les nègres et les békés, dans le plus pur esprit du Schœlchérisme », comme le dira lui-même Edouard à l’occasion d’un hommage rendu à Schoelcher.

C’est la fondation Clément qui permit cet accomplissement, en décembre 2001, à l’invitation de Bernard Hayot faite à Aimé Césaire de planter sur l’habitation Clément, au François, un arbre endémique de la Martinique, le courbaril, menacé de disparition.

Et pour conclure cet hommage fraternel à notre membre disparu, je citerai la conclusion de son intervention de ce 21 juillet où il avait été invité à honorer la mémoire du grand abolitionniste Victor Schoelcher :  « … amis de Schœlcher, ne soyez pas seulement des Schœlchéroises et des Schœlchérois mais des schœlchéristes ou des schœlchériennes et des schœlchériens convaincus, sans complexe, mais pas sans humour, fiers sans arrogance mais sans timidité, avec élégance et même avec ce zeste d’insolence que Schoelcher utilisait à merveille dans ses relations avec  ses pires adversaires. Soyez prêts à défendre en toutes circonstances la mémoire de celui dont votre ville porte le nom, sans aucune concession à ceux qui voudraient vous persuader que vos grands parents ou arrière grands parents qui ont choisi ce nom, étaient des aliénés, des fous, ou des imbéciles manipulés par des mercenaires au service du colonialisme. Soyez attentifs, au contraire, à faire briller ce nom, pas comme dans la chanson, « comme une étoile à l’orient » sur une montagne verte, mais comme une lampe-tempête dans la grisaille des temps troublés que nous vivons, temps de l’imposture, de la présomption, de la vanité satisfaite d’elle-même, de l’esbroufe, du bluff, de la démagogie et, finalement, du mépris du peuple, temps qui exigent de chacun de nous les qualités éminemment Schœlchériennes que sont le courage et la patience, la lucidité et la passion, la fermeté et, par dessus tout, la détermination. »

Edouard était un guerrier, un tribun pétri de culture historique dont il se servait comme d’un flambeau ardent pour éclairer notre démarche.

 Il nous a quittés, mais ses analyses et ses conseils resteront à jamais gravés dans nos cœurs.

Gérard Dorwling-Carter.

Pour Tous Créoles !

Fort-de-France le 17 août 2020

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