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L’histoire omise des noirs iraniens

Elle s’appelait Aleina ILDIR, née vers 1837, en Martinique. Elle est inscrite sur le registre des libres de couleur de 1850. Elle vient d’être affranchie ainsi que sa sœur et son frère, ainsi que l’indiquent les actes signés par le maire de la Grande-Anse, Henry Scholastique Estripeaut. Son nom et son prénom sont empreints de la même singularité, une origine asiatique de l’ouest, turque ou perse (Iran moderne).

L’esclavage dans les régions du Moyen-Orient, lié aux négociants arabes du Golfe, est peu connu et tabou, particulièrement celui pratiqué durant plusieurs siècles jusque vers 1928, en Iran.

Les silences ou les omissions historiques peuvent-ils être considérés comme des actes néfastes à l’évolution d’une société, dans l’hypothèse où ceux-ci sont intentionnels ? Ils sont également dénommés mensonges par omission.

Le débat opposant le politicien libéral Benjamin Constant et le philosophe Emmanuel Kant nous éclaire-t-il sur le mensonge ?

« Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s’il était pris de manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible […]. Dire la vérité est un devoir. Qu’est-ce qu’un devoir ? L’idée de devoir est inséparable de celle de droits : un devoir est ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’y a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. Dire la vérité n’est donc un devoir qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. Or nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui. » – Benjamin Constant, Des réactions politiques, 1797.

La vérité ne serait donc réservée qu’à un certain nombre de personnes probablement aptes à la manier avec circonspection puisque pouvant nuire à l’ordre public.

Dans un texte, tout autant polémique, « D’un prétendu droit de mentir par humanité » (1797), Emmanuel Kant réfute les arguments  de Benjamin Constant :

« L’expression « avoir droit à la vérité » est dépourvue de sens. Il faut dire plutôt qu’un homme a droit à sa propre véracité, c’est-à-dire à la vérité subjective dans sa personne […]. La véracité dans les déclarations qu’on ne peut éluder est le devoir formel de l’homme envers chacun, si grave que soit le préjudice qui puisse en résulter pour lui […] ; je commets une injustice certaine à l’endroit de la partie la plus essentielle du devoir en général par une telle falsification, qui, de ce fait, peut également être appelée mensonge […] »

Alors que Benjamin Constant, en habile politicien, introduit une vision de la prédominance de l’Etat, Emmanuel Kant affirme dans sa conception de la vérité, un impératif métaphysique de la condition humaine. Pour Kant, toute falsification, tout manquement à la véracité induit une injustice et des conséquences auxquelles il faudra faire face.

Entre ces deux conceptions à double face, vérité et mensonge, on a pourtant du mal à classifier le désintérêt des Etats et même des historiens pour la population noire iranienne vivant dans la partie sud du pays et de l’ignorance de sa culture, de son histoire et particulièrement celle liée à l’esclavage. Une population qui s’est fondue dans le paysage iranien dans un silence total.

Cette situation est peut-être due, en partie, au fait qu’en Iran, l’esclavage n’était pas fondé sur la couleur de la peau et que des iraniens, des circassiens, des turcs et des Géorgiens à peau blanche étaient également des esclaves, et cela jusque très tardivement durant le vingtième siècle, une pratique donc ne posant guère de problèmes de conscience concernant les droits humains.

Ce sera sous l’impulsion de Paul Lovejoy, Professeur d’histoire sur la diaspora africaine, à l’université York de Toronto, Canada, que Behnaz Mirzai (actuellement professeur agrégée en histoire du Moyen-Orient), débutera ses recherches sur l’eclavage en Iran.

« L’esclavage n’a pas été incorporé à l’histoire de l’Iran. » a expliqué Behnaz Mirzai à Middle East Eye.

Les écrits de Behnaz Mirzai confirment un commerce intense entre l’Iran et particulièrement les pays de l’Est de l’Afrique, datés du 16e siècle et centrés sur des denrées telles que l’or et les matériaux de construction des maisons. Les négociants arabes du Golfe, sous le règne du sultanat d’Oman qui dominait les régions bordant l’océan Indien, amenaient des esclaves en Iran, à partir du nord et du nord-est du continent africain, notamment la Tanzanie (Zanzibar), le Kenya, l’Éthiopie et la Somalie.

D’autres chercheurs, tels que John Thabiti Willis, ont découvert que les pays du Golfe utilisaient la main d’œuvre africaine pour la pêche des perles noires. Certains travailleurs, en faible proportion, venaient librement proposer leurs expertises.

L’existence d’unions entre afro-iraniens et iraniens est peu documentée mais rendue évidente par leur descendance actuelle métissée.

Aussi, la présence de ruines d’un château du XVIe siècle sur l’île d’Ormuz dans le sud de l’Iran, atteste d’une probabilité de jonction entre les traites du Moyen-Orient et celles vers les Amériques.

Si nous en revenons à Aleina Ildir, mentionnée dans notre introduction, on peut supposer que l’histoire de ses ancêtres s’est déroulée entre les pays de l’Afrique de l’Est, la Turquie et l’Iran. Une carte génétique moderne caribéenne, alliant par exemple le Kenya et l’Iran ou l’Ethiopie et l’Iran aurait comme hypothèse une origine afro-iranienne.

Il existe actuellement une association afro-iranienne dont l’une des fondatrices est la juriste Priscillia Kounkou-Hoveyda et qui présente sur leur site cité dans les références, la problématique des afro-iraniens ou en quelque sorte leur devise d’avenir.

« Le Collectif pour les Noirs Iraniens, c’est en quelque sorte ce qui se passe quand on s’autorise d’embrasser tous les segments de son identité, malgré la cacophonie sociétale et parfois aussi interne qui nous impose de nous « aligner » aux côtés de l’identité dominante et de mettre en périphérie tous nos autres segments, de les taire. »

Aurore Holmes pour Tous Créoles

Références bibliographiques

  • Mirzai Behnaz A. African presence in Iran : identity and its reconstruction. In: Outre-mers, tome 89, n°336-337, 2e semestre 2002. traites et esclavages : vieux problèmes, nouvelles perspectives ? sous la direction de Olivier Pétré-Grenouilleau. pp. 229-246.
  • https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2002_num_89_336_3991
  • https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/nous-sommes-iraniens-la-decouverte-de-lhistoire-de-lesclavage-africain-en-iran
  • https://collectiveforblackiranians.org/about

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