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« Descendant d’esclaves » n’est pas mon nom (3ème partie) – Mon arrière-grand-père a vendu des esclaves

« It would be unfair to judge a 19th Century man by 21st Century principles. » Il serait injuste de juger un homme qui a vécu au 19e siècle à travers les valeurs du 21e siècle.

Ainsi commence le récit familial de la journaliste Adaobi Tricia Nwaubani. Elle déclare ensuite :

Évaluer les personnes africaines d’une autre époque avec les standards actuels nous obligerait de considérer la majorité de nos héros comme des monstres et nous priverait du droit de célébrer tout individu qui n’aurait pas été influencé par l’idéologie occidentale.

Les négociants d’esclaves d’origine Igbo, ainsi que l’était mon arrière-grand père, n’avaient aucun problème d’intégration sociale ou de légalité. Ils n’avaient aucun besoin de justifications religieuses ou scientifiques concernant leurs actions. Ils vivaient tout simplement la vie dans laquelle ils avaient été élevés.

C’était tout ce qu’ils connaissaient.

Adaobi Tricia Nwaubani est née en 1976, à Enugu, dans la région sud-ouest du Nigeria. Elle a obtenu en 2010, le prix du meilleur roman des écrivains du Commonwealth. Ses travaux de journalistes ciblent des actualités humanitaires. Ses articles sont publiés dans The New York Times, The New Yorker, The Guardian.

Ses déclarations étonnent et même dérangent puisqu’elles concernent la traite transatlantique, crime contre l’humanité. Elle considère donc que les concepts du bien et du mal sont liés à l’environnement culturel et social à une époque donnée. Il est intéressant de prêter attention à son récit rare et courageux clamant le fait qu’elle est une descendante directe d’un esclavagiste africain.

Elle nous détaille donc les us et coutumes hérités de son ethnie Igbo :

Acheter et vendre des êtres humains faisaient partie des coutumes igbos, bien longtemps avant que les Européens arrivent. Les gens devenaient esclaves en tant que punitions pour des crimes, des dettes ou parce qu’ils étaient des prisonniers de guerre.

Une vente d’adulte, effectuée avec succès, était considéré comme un exploit pour lequel un homme était encensé par des chansons de louanges, exactement comme des exploits de combats, de guerre ou de chasse d’animaux sauvages tels que le lion. Les esclaves Igbo devenaient des domestiques ou travaillaient dans les champs. Il arrivait également qu’ils soient sacrifiés durant des cérémonies religieuses et enterrés vivants avec leurs maîtres afin qu’ils puissent les servir dans l’autre monde.

Un jour, nous dit Adaobi Tricia, son père s’assoit confortablement dans son fauteuil préféré et commence à raconter les exploits de son grand-père Nwaubani Ogogo, à ses petits-enfants :

  • N’éprouves-tu pas de la honte pour ce qu’il a fait ? lui demande Adaobi.
  • Je n’aurai jamais honte de mon grand-père, répondit-il d’un ton irrité. Pour quelles raisons ? Ses affaires étaient légitimes à l’époque. Il était respecté par tous. Peu de gens peuvent rivaliser de courage avec un négociant en esclavage. Tu dois ressentir un tant soit peu de fierté. 

Est-ce un détail ironique ? Mais Adaobi Tricia Nwaubani précise que son père est un activiste pour les droits humains et que celui-ci a consacré sa vie à s’opposer aux abus du gouvernement nigerian et qu’il devait parfois s’enfuir de la maison par peur d’être arrêté.

Pourtant, il y a une dizaine d’années, Adaobi ainsi que ses cousins prennent conscience de la gravité des actes de leur arrière-arrière-grand-père. Certains intellectuels africains commencent à faire entendre leur voix contre le commerce de l’esclavage. Elle sait, bien sûr que les négociants blancs n’auraient pu gérer ce commerce, sans l’aide des africains tels que son arrière-grand-père. Dans la presse, elle lit des demandes de réparations provenant des descendants d’esclaves américains et elle appréhende que des gens puissent bientôt exiger de sa famille de contribuer aux réparations.

Que pourrait-il donc se passer pour Adaobi Tricia, descendante d’un esclavagiste africain ? Peut-on la rendre responsable des actes de ses ancêtres ?

Peut-on considérer son affirmation : Il serait injuste de juger un homme qui a vécu au 19e siècle à travers les valeurs du 21e siècle.

Inutile d’insister sur le fait que Adaobi est un miroir inversé de notre actualité aux Antilles. La couleur de sa peau deviendrait-elle un argument pour une politique du deux poids, deux mesures ?

Ces questions sont laissées à l’appréciation de nos lecteurs à la lumière du témoignage de la journaliste Adaobi Tricia Nwaubani.

Aurore Holmes pour Tous Créoles

Descendant d’esclaves n’est pas mon nom – 1ère partie

Descendant d’esclave n’est pas mon nom – 2ème partie

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