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Un syncrétisme bien créole de la Semaine sainte 

eric-hersilie-heloise-tous-creolesAvec sa verve habituelle et fort de sa parfaite connaissance de notre culture créole aux Antilles, Éric HERSILIE-HÉLOÏSE, journaliste et chef de centre du magazine “France-Antilles”, nous retrace ici les grandes traditions de la Semaine sainte à la Martinique.
Foi, pratiques religieuses et superstitions ayant été souvent « solidement imbriquées » en terre créole, on pourrait presqu’éditer un mode d’emploi de notre semaine sainte locale.
Ainsi, pendant le carême, pas de mariage, pas de fêtes, pas de musique. L’entrée dans la Semaine sainte -qui va du jeudi au dimanche, contrairement à la Pessah juive qui dure 7 jours- accentue encore plus l’observation des règles de pénitence.
dimanche des rameauxLe jeudi saint : avec la messe du matin, les cloches des églises s’arrêtent de sonner jusqu’au samedi matin. C’est jour de dépouillement et de jeûne ; de confession pour les femmes et les enfants ; de nettoyage de la maison ; celui où les jeunes vont pêcher à la rivière des écrevisses pour le vendredi saint.
Le vendredi saint : jour du Chemin de croix. Jour maigre : pas d’huile, pas de viande. Interdiction de travailler la terre à la campagne -certains disaient même qu’en labourant ce jour-là, on voyait « la terre saigner »-. Jour des marinades, ces accras de légumes, cuits avec de la farine sans levain -autre syncrétisme avec Pessah où en souvenir de l’exode on consomme du pain azyme (sans levain), appelé aussi « pain des pauvres »-, accompagnées d’écrevisses grillées ou en blaff. De même, les bouchers ne travaillent pas : « On est dans le cru et non dans le cuit ». Accras de chou jaune, salade de carottes, giraumon qui donne de la couleur aux accras. On fait les accras pour certains avec de l’huile de coco, qui est une huile maigre. Dans cette société où « la chair » représente la force, le sacrifice est énorme. Pas d’œufs dans la préparation des plats : c’est un interdit alimentaire et religieux ce jour-là. Nos anciens vivaient la journée du vendredi saint dans le respect de la mort du Christ : interdiction de chanter, de faire de la musique, de taper avec un marteau, de toucher aux clous (qui évoquent la crucifixion du Christ), de balayer la maison …
Durant cette avant-dernière journée de carême, le jeûne était accentué : pas de matière grasse, pas de viande, le strict minimum. C’était une journée très triste. S’il pleuvait le vendredi saint, les gens récupéraient l’eau de pluie directement, en disant que c’était de l’eau bénite.
Le matin de ce vendredi, il y avait des prières à l’église avec l’adoration du Christ. A 15 heures, toutes les églises se remplissaient à nouveau pour le Chemin de Croix, toujours annoncé par les enfants de chœur : « Premier son Chemin de croix (rara) », etc. Dès la sortie de l’église, les cuisinières se mettaient à leur réchaud pour faire des marinades avec la pâte qu’elles avaient préparée durant la matinée. Ces marinades composaient le repas du soir.
Le Samedi Gloria : Jour de préparation et de mise en place pour les Dimanche et le Lundi de Pâques. Jour d’attente et fameux « Gloria, minuit sonné » —de 18 heures à minuit, dans les campagnes, bèlè– c’est aussi la Pâque des hommes qui vont se confesser et iront également communier. C’est aussi l’heure du « bain de nettoyage » qui a une autre dimension que celui du jour de l’An (plus magico-religieux) ; c’est un jour zéro. C’est le jour de préparation pour le dimanche : on y achète coqs et poules sur pied, moutons, cabris, lots de crabes. Le samedi Gloria, il y a la messe où les cloches se remettent à sonner, « ressuscitent ». Pendant que les cloches sonnent, les gens en profitent pour vivement (afin de faire tourner la chance) : se laver le visage, secouer les enfants nonchalants, secouer les arbres qui ne portent pas de fruits, battre le cochon qui a du mal à engraisser. On récure la maison, le plancher … Après la messe, on va chercher de l’eau bénite à l’église car chacun en conserve chez lui dans un petit flacon.
Le Dimanche de Pâques : messe à 6 heures le matin. On tue le mouton acheté la veille ; tandis qu’en Europe, il s’agit d’agneau.
Lundi de Pâques : en dépit de ce que l’on croit, le lundi de Pâques n’est pas une fête liturgique, bien qu’étant férié (sauf en Russie). Chez nous c’est le jour du matoutou -avant on consommait des écrevisses en fricassée, au bord de la rivière-. A ce sujet, il n’est pas inintéressant de savoir que le terme de « matoutou » apparaît pour la première fois sous la plume du père Labat et désigne « une sorte de grand plat qui servait aussi de table chez les Caraïbes ; il était fait en roseau et en latanier et était totalement imperméable ».
Éric HERSILIE-HÉLOÏSE
Lire également : http://www.martinique.franceantilles.fr/actualite/societe/le-dimanche-des-rameaux-ouvre-la-semaine-sainte-198257.php

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