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Réflexions sur la "décréolisation"

Jean BERNABÉ

Fondateur du GEREC, professeur émérite des Universités en langues et cultures régionales, Jean BERNABÉ est, comme chacun le sait, l’un des acteurs majeurs de l’émergence du créole dans la culture antillaise : dès 1983 il est l’auteur de la première thèse de doctorat sur le créole antillais, intitulée « Fondal Natal« , grammaire basilecticale approchée des créoles guadeloupéen et martiniquais, publiée chez l’Harmattan ; en 1989 il publie avec Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT l’essai « Éloge de la créolité », considéré comme un texte fondateur.

Organisées par le Conseil de la Culture, de l’Education et de l’Environnement, les XXI° « Rencontres interrégionales des Langues et Cultures régionales et minoritaires de France » se sont tenues mi-janvier à la Martinique ; à cette occasion, le professeur Jean BERNABÉ s’est distingué par ses « Réflexions sur la « Décréolisation » que nous vous proposons de lire ici.

Vous pouvez télécharger ici le texte complet : La décréolisation par Jean Bernabé

Réflexions sur la décréolisation

par Jean BERNABÉ

Le terme peu connu dans le grand public de « décréolisation » désigne un processus ayant rapport à la perte, au délitement, à la désagrégation du créole. Cette question, qui n’est pas toujours prise au sérieux à la mesure de ses enjeux, renvoie à une problématique que je considère comme cruciale pour l’avenir linguistique, culturel, voire politique (au sens noble du mot) de nos pays. En effet, le mot « décréolisation » constitue une métaphore particulièrement pertinente de la situation dans laquelle se trouvent nos pays, au carrefour d’un consumérisme débridé et d’une productivité voisine de zéro. La langue peut, en effet, elle aussi être un lieu tant de consommation que de production. Il est évident que dans ce domaine les créolophones se situent dans une situation qui accuse une disparité entre consommation linguistique et créativité.

La décréolisation quantitative

La décréolisation est dite quantitative quand elle affecte le nombre de locuteurs. Quand ce dernier atteint zéro, on peut alors parler de langue morte.  À Trinidad ou à Grenade, le nombre proche de zéro des locuteurs aboutit à des créoles moribonds, parlés dans de très rares localités. La minuscule bourgade de Paramine, à Trinidad, est demeurée un des rares bastions du créole à base lexicale française dans ce pays où, au XIXème siècle encore, toute la population parlait créole, seule les élites parlant les deux langues (créole et anglais). À Trinidad, le célèbre pays du calypso, genre musical chanté en très grande partie en créole, cette langue en a été réduite à cela ! Quelle tristesse ! Comme quoi, pareillement aux civilisations, dont Paul Valéry disait qu’elles se savaient désormais mortelles, les langues sont elles aussi inscrites dans la finitude. Cela dit, m’étant rendu en enquête à Paramine, il y a une dizaine d’années, et ayant été merveilleusement reçu à la table de mes informateurs, qui ont tenu à servir à mon épouse, à moi-même et à un couple d’amis trinidadiens force dachines et autres légumes de leur production, j’ai personnellement été frappé de constater à quel point, dans ce petit réduit de créole, nos hôtes, des Trinidadiens, par ailleurs anglophones, gardaient un lien étroit avec ce créole. Ils le prononçaient, non pas avec un accent anglais, comme le font les Dominiquais ou les Saint-Luciens, mais avec une tonalité qui ne diffère en rien de celle des Martiniquais. À Paramine donc, j’ai eu l’impression de me trouver dans n’importe quelle campagne de la Martinique. Il faut dire que le créole de cette localité est protégé de l’ouverture sur le monde et sur la modernité qui, comme on le sait, constitue un facteur de corrosion de toute langue et surtout du créole. Combien de temps cette séquelle créolophone résistera-t-elle aux assauts du monde anglophone et de la modernité, nul ne le sait. Une chose est sûre : Paramine ne restera pas telle quelle jusqu’à la fin des temps une bourgade rurale, avec toujours le même mode de vie et de production.
La décréolisation qualitative
Sous sa forme qualitative, la décréolisation est ce processus qui entame la substance, la qualité même du créole. Cette décréolisation est en fait une francisation quand la langue de contact est le français. Mais elle peut tout aussi bien être une anglicisation, quand, comme à la Dominique et à Sainte-Lucie, le contact s’établit avec l’anglais. Remarque importante : la décréolisation qualitative n’entraîne pas forcément la décréolisation quantitative, c’est-à-dire le recul ou la mort du créole. En effet, les Martiniquais parlent en général un créole très décréolisé, mais cela n’empêche pas leur créole d’être très vivace, comparé à certaines langues de France, comme l’occitan ou encore le breton, qui ne sont guère parlés que par des gens âgés. Il n’y a donc pas de raison que le créole martiniquais disparaisse parce qu’il se francise. Mais il n’y a pas non plus de raison de penser que ce créole ne disparaîtra jamais ! Divers facteurs sont à l’œuvre.
La décréolisation par désancrage psychologique
Un facteur qui peut entraîner la disparition d’un créole, c’est l’élimination de ceux qui le parlent (mort naturelle ou génocide), à savoir la décréolisation quantitative. Mais il n’y a pas que ce facteur. Il existe une troisième forme de décréolisation, celle qui concerne le rapport que les locuteurs entretiennent avec la langue. Il s’agit là d’un rapport que j’appelle ancrage psychosociologique dans le créole (apc). Le contraire de l’ancrage est, bien sûr, le désancrage (dpc). Précisément, un créolophone désancré n’est pas enraciné (anchouké, dirait-on en créole) dans la langue. Il est comme qui dirait « à côté », voire « flotte au-dessus », situation que l’on peut illustrer par l’image des cultures hors sol, dites hydroponiques, et qui précisément ne puisent pas leur sève dans les profondeurs de l’humus nourricier. De toute évidence, si les habitants de Paramine n’avaient pas cette force d’ancrage dans leur créole, due à des raisons socio-historiques complexes, jamais ils n’auraient pu résister à l’assaut de l’anglais et du créole à base lexicale anglaise, qui ont éliminé le créole à base française dans presque tout le territoire trinidadien.
La notion d’ancrage est certes une métaphore, mais c’est aussi plus qu’une métaphore. C’est une réalité psychosociologique qui, redisons-le, a des causes sociohistoriques diverses et qui comporte des manifestations évidentes. Elle se révèle notamment dans la manière dont le créole est mis en bouche par les locuteurs, dans le nombre de situations où la langue est utilisée, dans la fluidité de l’énonciation ainsi que dans le sentiment de confort et de sécurité que le locuteur éprouve en maniant sa langue. Le niveau d’ancrage varie selon les sociétés et selon les groupes sociaux.
Géographie de l’ancrage dans le créole
Les pays de l’Océan Indien (Maurice, Réunion et Seychelles) sont des pays où l’ancrage dans le créole est extrêmement fort. On est frappé de constater le nombre important de situations dans lesquelles les créolophones de ces pays  s’expriment en créole : non seulement en famille, mais dans beaucoup d’endroits officiels. Dans notre aire caribéenne, Haïti et la Guadeloupe connaissent un niveau d’ancrage psychosociologique dans le créole de loin supérieur à celui de la Martinique. À titre d’exemple : considérons trois artères de trois pays caribéens : la rue Frébault à Pointe à Pitre, le champ de Mars en Haïti, puis la rue de la République à Fort-de-France. Vous constaterez que dans la première, le créole est majoritaire, voire quasi-exclusif, que dans la seconde, on n’entend que du créole et dans la troisième, presque autant de créole que de français. C’est un bon reflet des différents niveaux d’ancrage psychosociologique du créole. De même, dans les milieux ruraux et/ou populaires de ces deux pays, l’ancrage dans le créole sera plus fort que dans les milieux relevant de classes plus aisées.
Les conséquences d’un ancrage collectif fort
Cette constatation correspond par ailleurs à une autre remarque selon laquelle plus les gens sont ancrés dans le créole, moins ils ont tendance à prendre conscience du caractère décréolisé de leur parler créole. Cette remarque est très paradoxale, parce qu’on aurait tendance à s’imaginer le contraire : à savoir qu’un fort ancrage dans le créole vous fait prendre conscience du fait que votre créole se francise. Précisément, il n’en est rien, puisque c’est même tout le contraire ! Cela nous montre bien que, justement, le sentiment de sécurité linguistique que procure un sentiment de légitimité issu de l’ancrage et dont l’effet est d’écarter du locuteur tout sentiment d’un danger de délitement de la langue qu’il parle. Il est à cet égard caractéristique de remarquer que même les spécialistes du créole (autrement dit les créolistes) de l’Océan Indien sont absolument indifférents au thème de la décréolisation. Il en est de même des créolistes guadeloupéens, à quelques exceptions près (Collat-Jolivière, Déglas, Fontès, Zandronis, anciens membres du GEREC, quand ce groupe de recherche  universitaire opérait sous ma coordination en Guadeloupe dans les années1970). En dehors de ces derniers, l’ensemble des autres créolistes guadeloupéens ne se sentent donc pas, dans leur très grande majorité, concernés par le phénomène de la décréolisation. Par voie de conséquence, les écrivains non plus. Il existe, en effet, en Guadeloupe, de nombreux écrivains créolisants, particulièrement talentueux. Leur utilisation du créole est certes très créative, mais jamais dans leurs œuvres, ils ne se lancent, par exemple, dans une démarche néologique (autrement dit de création de mots), contrairement aux écrivains martiniquais, qui sont très souvent tentés par une volonté de rénover, de recréer le créole. On trouve cette démarche plus affirmée chez des auteurs comme Confiant, Monchoachi, Rosier, mais pas tout à fait inexistante chez d’autres tels que Boukman, Joby Bernabé, Mauvois, Duranty, Ebion, Norvat, Georges et Thérèse Léotin, Restog, etc. Cela tient au fait que tant les créolistes que les auteurs créolisants de la Guadeloupe vivent dans une société où l’ancrage dans le créole est puissant et où les locuteurs ont tendance à vivre la langue de façon absolue, sans chercher à la comparer au français. Comme quoi, la notion de « décréolisation » est éminemment subjective, même si elle peut être objectivée par des linguistes, dont c’est le rôle. La question reste cependant de savoir qui, des locuteurs et des linguistes, ont le plus de légitimité. Si ce ne sont pas les locuteurs qui détiennent la légitimité, la situation est grave. D’un autre côté, si les linguistes n’ont aucune audience en raison de leur légitimité inférieure, la situation est tout aussi grave. Il faut trouver le moyen de résoudre la question ! Ce moyen existe, assurément. Du moins, j’en ai l’intime conviction !
Une position d’alerte et d’avant-garde
La différence qu’expriment les créolistes ainsi que les auteurs créolisants martiniquais révèle, au contraire, une situation communautaire tout à fait différente, marquée par une insécurité linguistique, elle-même liée au désancrage collectif, même si certains milieux, notamment ruraux et populaires, sont plus ancrés que d’autres. Cette situation met les créolistes et autres créolisants en position de prendre un certain recul d’avec la langue et de repérer qu’elle est en réalité en position de dépendance et de parasitage par rapport au français. Il ne faut pas s’imaginer pour autant que le créole guadeloupéen échappe à la décréolisation, même si la force de l’ancrage communautaire empêche une véritable prise de conscience du phénomène. Autrement dit, de même que la décréolisation qualitative n’entraîne pas nécessairement la disparition du créole (sa décréolisation quantitative), de même une communauté peut être affectée par une décréolisation qualitative, sans que cette décréolisation n’entame son ancrage dans le créole. Ce qui est en cause, c’est la capacité à prendre conscience du phénomène !
Nous nous trouvons en présence d’une situation tout à fait paradoxale, selon laquelle ce sont les créolistes et les auteurs créolisants appartenant à la communauté la moins fortement ancrée dans le créole (à savoir la communauté linguistique martiniquaise) qui prennent conscience du phénomène de décréolisation, et c’est par conséquent eux qui essaient d’y apporter des réponses. En un mot, ils sont malgré eux érigés en vigies, aptes à donner l’alerte et ils se situent par là-même à l’avant-garde du combat pour ce que j’appelle une recréolisation. Rappelons opportunément, à cet égard, le mot du grand penseur Edgar Morin qui nous indique que plus le danger s’accroît, plus s’accroissent aussi les chances de réponde à ce danger. Mais avant de parler de recréolisation, il y a lieu d’analyser les causes de la décréolisation, notamment dans ses aspects qualitatifs.
Quelques causes de la décréolisation qualitative
Ici, se pose donc la question des causes de cette décréolisation qualitative. Les raisons essentielles de la décréolisation sont, d’une part, l’évolution culturelle et technologique, centrée exclusivement autour de la sphère linguistique francophone et, d’autre part, l’extension des domaines d’emploi du créole. En effet, dans la mesure où on se met à vouloir exprimer en créole des réalités modernes que les langues créoles, langues d’origine essentiellement rurale, n’avaient jamais eu l’occasion d’exprimer auparavant et pour lesquelles elles n’avaient donc pas de vocabulaire adéquat, il est tout à fait normal que les mots utilisés soient empruntés à la langue dont la disponibilité se trouve offerte en permanence, les Martiniquais étant de plus en plus à la fois créolophones et francophones. Chez nous la langue « fournisseuse » est le français, mais à la Dominique et à Sainte-Lucie, c’est l’anglais. C’est la langue de contact pourvoyeuse qui vient suppléer aux manques, et c’est naturellement par elle que se produit l’anglicisation des créoles correspondants !
Francisation ou anglicisation du créole sont donc liées au fait que la créativité créole qui devrait réagir contre ces phénomènes n’est pas au rendez-vous. Elle ne peut d’ailleurs être spontanément au rendez-vous ! En effet, les langues ne disposent pas d’un procédé magique qui leur permettrait de créer instantanément et de toutes pièces des mots leur permettant d’éviter les emprunts à d’autres langues. L’emprunt est un phénomène linguistique naturel et il serait aberrant de le proscrire. Les langues  sont inscrites dans un réseau qui tend d’ailleurs à se mondialiser, ce qui risque d’entraîner une diversification des langues pourvoyeuses. Le mot iranien « ayatollah » est aussi bien utilisé en français qu’en créole.
Le problème n’est donc pas le fait de l’emprunt, mais son intensité et surtout son caractère unilatéral. En effet, si on peut compter sur les doigts d’une main les emprunts du français au créole (les mots « biguine », « zouk », « morne », « zombi », « profitation »), en revanche des dizaines de milliers de mains ne suffiraient pas pour dénombrer les emprunts du  créole au français, tant cette pratique est courante et instinctive, chaque fois que nous, créolophones, prenons la parole. Nous avons là un phénomène particulièrement dissymétrique, que les économistes qualifient de « détérioration des termes de l’échange ». Que chacun d’entre nous prenne le temps de s’écouter parler créole ! Il ne tardera pas à prendre conscience de ce mécanisme, qui n’est pas toujours clairement appréhendé ni même perçu par ceux pour qui parler créole ne sert qu’à communiquer, sans aucune considération pour la structure de la langue utilisée. Cela est au demeurant une attitude assez  naturelle, que personnellement je ne cherche nullement à condamner.
Il convient de rappeler que le français a toujours été, dès l’origine, la langue dans laquelle nos créoles ont puisé leur vocabulaire. C’est pourquoi on parle de créoles à base lexicale française, pour désigner ces langues ayant actuellement cours en Haïti, Guadeloupe, Dominique, Martinique, Sainte-Lucie ainsi qu’en Louisiane, à Trinidad et en Guyane, même si dans ces trois derniers pays, le recul quantitatif (c’est-à-dire en termes de locuteurs) est considérable au point que le qualificatif de « moribond » est utilisé pour les caractériser. Cela ne veut pas dire que les créoles n’ont pas une originalité très grande par rapport au français en matière de syntaxe et de phonétique. Proches pour le vocabulaire, créole et français sont des langues qui ne correspondent absolument pas au même type linguistique. Elles sont en réalité typologiquement très différentes.
Le fait que le vocabulaire créole soit originalement lié à celui du français ne pose pas en soi de problème, toute langue ayant une origine. Il n’y a pas de honte ni d’infamie, ni de déshonneur à parler un créole issu en partie du français ou de l’anglais, avec, bien sûr d’autres composantes, qui sont africaines et, dans une certaine mesure, amérindiennes. Rappelons que ce qui peut poser problème, c’est l’excès de dépendance du créole par rapport au français, l’intensité de la détérioration des termes de l’échange. Autrement dit, qui dénoncerait la décréolisation, dénoncerait par là même un parasitage perpétuel du français par le créole. On le sait, il y a peu de gens qui, pris dans l’urgence de leur prise de parole ont le temps, ont la possibilité, voire le désir de recourir à une tournure créole plutôt que de se livrer à la consommation des mots français qui s’offrent sans limite à eux ! Car l’offre de consommation linguistique du français est permanente et il suffit de tendre la main (je devrais plutôt dire : agiter la langue) pour récupérer le mot français qui s’offre. Soit par exemple la phrase suivante, entendue sur une radio : « Adan trè mové sitiyasion-an adan lèkel péyi-a ka touvé kò’y la, man ka pansé ki fok nou aji an manniè ki solidè ». Cette phrase-là correspond à une énonciation banale et courante, prononçable par n’importe quel créolophone martiniquais interviewé à la radio. Infiniment plus rares, voire quasi-inexistants, sont les locuteurs qui, au lieu de cette phrase, auraient produit celle-ci : « Adan bidim lélékou-a éti péyi-a ka lolé a, pa mwen, fok sé yonn a lott nou yé ».
Éviter toute stigmatisation et toute arrogance
Si la deuxième formulation citée ci-dessus est bien moins dépendante du français que la première, elle est le fait de ceux qui ont eu l’opportunité ou la chance de pouvoir travailler sur la réalité linguistique créole et qui peuvent de ce fait produire des énoncés moins dépendants de la norme linguistique française. Ce n’est pourtant pas une raison de stigmatiser ceux qui parlent le créole courant, le créole « tout-venant ». C’est la raison pour laquelle je récuse toute attitude de stigmatisation de ceux qui parlent le créole courant, qui est forcément en position de parasitage du français. De là vient ma fréquente déclaration selon laquelle, « il n’y a pas de bon ou de mauvais créole : il y a du créole ». Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas individuellement et collectivement faire des efforts pour promouvoir un créole plus créatif. Cela signifie qu’il n’existe pas un créole normé, que des « grangrek » se croiraient autorisés à imposer à la masse des créolophones. Je m’insurge contre toute normalisation, forcément autoritaire et qui est un mécanisme que certains pourraient mettre en œuvre, en étant sincèrement convaincus que le salut doit venir d’en haut, c’est à dire de leurs propres pratiques, alors que c’est à partir de la base qu’il peut être organisé. La normalisation est autoritaire et humiliante, parce qu’elle donnerait à croire que l’ensemble de la communauté se vautre dans la fange d’une langue indigne. Ce serait une autre manière d’insulter notre communauté linguistique à partir d’une position de supériorité indue. Cela dit, il existe les voies d’une politique linguistique non autoritaire, qui relève de ce qui s’appelle la normation, démarche située à l’opposé de la normalisation. J’aurai probablement l’occasion de développer ce point ultérieurement, en relation avec le rôle salvateur ou, au contraire, catastrophique, que peuvent jouer en la matière les médias audiovisuels, qui doivent être interpellés. Leur formation et la méthodologie de cette formation  ne sont  pas sans poser problème, mais il ne s’agit pas de problèmes insolubles, si du moins on se réfère à une méthodologie de normation et non point de normalisation.
En guise de conclusion provisoire
Qu’on le comprenne bien : la plus grande erreur que pourraient commettre nos décideurs politiques serait de créer une « Académie Créole », dont la fonction forcément normalisante serait en porte à faux avec les réalités créoles. Car le problème n’est pas de normaliser, mais de normer progressivement ! Par contre, la meilleure décision serait de mettre en place un Office Public de la Langue Créole, organisme devant être chargé de la coordination des pratiques de normation, notion dont il conviendrait de montrer toutes les potentialités. Il n’est pas impossible qu’une réflexion sur la politique linguistique nous apporte des orientations utiles à produire une métamorphose de la politique en général, la conduisant de la stigmatisation à une approche démocratique et solidaire.
Jean BERNABÉ, le 16 janvier 2012
Ecoutez Jean BERNABÉ sur « Politix » : http://www.youtube.com/watch?v=5jLSjSd1hmM&feature=related
Vous pouvez télécharger ici le texte complet : La décréolisation par Jean Bernabé

1 Commentaire

  1. yomemoy

    Il est bon de s’alerter,
    Et encore mieux d’être alerte,
    Je retiens la faiblesse de l’ancrage identitaire, ou idéologique, par ailleurs utile, par rapport à l’ancrage dit ici psychologique.
    Ce dernier me semble être une utilisation non de défense de la langue, mais une utilisation de la langue comme moyen de défense.
    En réalité on rejoint là l’essence même des langues, la vocation utilitaire.
    Communiquer, si le cible privilégiée est une communauté élargie, et si cette dernière est acceptée comme sienne, la langue régionale perd l’aspect utilitaire de défense, d’autres pouvant remplir le rôle primaire.
    Au contraire le besoin de communiquer de façon fiable (voir sécurisée) avec peu être facteur de vitalité et notamment de créativité, puisque la francisation et l’anglicisation en diminuent le pouvoir sélectif.
    La survivance culturelle est plus délicate:
    Sous l’aspect élitiste de maintien d’un savoir, elle se réduit forcément, d’autant qu’il faut parfois un public à la manifestation de la culture pour beaucoup.
    Sous l’aspect plus vivifiant, de moyen d’user d’un patrimoine distrayant elle touche un plus grand nombre et peut induire un enrichissement par mise en situation et promotion.
    Là encore elle affrontera la mise à disposition par le biais des langue dominante, de faits culturels plus nombreux et flattant parfois bien mieux ce qui par la culture veulent être reconnus.
    Il en découle que le meilleure vecteur de survivance est une promotion qualitative, tant de l’usage pour l’accès à des communautés reconnue comme sœurs ou sienne, que dans la mise en place de passerelle conduisant à se rencontrer avec la langue régional comme point d’accès.
    Ainsi le recherche même du passage à la bivalence créole Français, anglais, ou espagnole au multilinguisme avec l’atout langue régional comme tuteur, pourra réconcilier les trois aspects, coopération avec des communauté reconnue sœurs, enrichissement par recherche avec le mécanisme de la langue régional ici promue commune, valorisation de la reconnaissance de la culture sous ses deux axes.
    Je serais tenté en conséquence de penser que les organismes cités en conclusion devraient s’orienter plus vers le développement de l’utilité et sa démonstration que vers toutes tentations de normalisation cela est dit et a montré ses limites, mais aussi dans une moindre mesure une propension normative qui précéderait la remise en contact des créoles né comme le notre.
    An lot soley tan an cout

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