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Mémoire de l’esclavage. Les ports négriers français assument de plus en plus leur passé

Par Anne Chemin

Après des décennies d’atermoiements et de déni, les villes de Nantes, avec le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, et de Bordeaux, au sein du Musée d’Aquitaine, ont fini par rendre hommage aux victimes de l’esclavage colonial, qui trouvent enfin leur place dans l’espace public.

S’il est une ville, en métropole, qui a su, au cours des trente dernières années, faire vivre la mémoire de l’esclavage, c’est bien Nantes. Du milieu du XVIIe au milieu du XIXe siècle, cette cité fut le premier port négrier français à activement participer au « commerce triangulaire » : les armateurs nantais ont organisé plus de 40 % des expéditions françaises liées à la traite transatlantique. Leurs navires ont transporté vers les colonies 550 000 captifs africains réduits en esclavage.

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En 1992, après un siècle et demi de silence, voire de déni, le Musée d’histoire de Nantes organise la première grande exposition consacrée à la traite négrière et à l’esclavage : son succès – plus de 400 000 visiteurs – démontre que Nantes est désormais prêt à affronter son passé. Vingt ans plus tard, le Mémorial de Nantes, le plus important monument européen consacré aux victimes de la traite, ouvre ses portes sur le quai de la Fosse, d’où partirent, du XVIIe au XIXe siècle, nombre de navires négriers.

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Ce mouvement mémoriel, né dans les années 1990, a été impulsé par le maire (PS) de Nantes, Jean-Marc Ayrault – aujourd’hui président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage –, mais aussi, et peut-être surtout, par nombre d’associations nantaises, au premier rang desquelles figurent Les Anneaux de la mémoire. Fondé en 1991, ce collectif qui entretient la mémoire de l’esclavage à travers des publications, des conférences et des expositions a créé, en 2005, un réseau international des villes impliquées dans la traite.

Une « grande oblitération »

Plus difficile – plus lent, aussi – a été le parcours de Bordeaux. Pendant longtemps, ce port qui a armé plus de 400 navires négriers, entre 1672 et 1837, a délibérément tourné le dos à son passé. A force de célébrer l’audace et l’esprit de conquête des armateurs, des marchands et des négociants qui ont fait la fortune de la ville au XVIIIe siècle, la mémoire locale a fini par engendrer une « grande oblitération », selon le mot de la géographe et anthropologue Christine Chivallon.

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A partir des années 2000, l’essor des recherches sur la traite négrière et le travail d’associations comme Mémoires et partages font cependant émerger les souvenirs enfouis de la traite. Alors que Jacques Chaban-Delmas faisait silence sur l’esclavage, Alain Juppé évoque sans détour, en 2019, « la déportation, depuis Bordeaux, de 150 000 esclaves d’Afrique en Amérique française » : si les Antilles ont été une source de « prospérité commerciale », la mémoire de cette « fortune basée sur l’économie de la traite » a été « trop souvent occultée », estime-t-il.

C’est de moins en moins le cas : en 2006, une plaque commémorative a été apposée, sur les quais, à la mémoire des esclaves déportés aux Amériques et, depuis 2009, le Musée d’Aquitaine propose une exposition permanente sur le passé négrier de la ville. Bordeaux a en outre créé, il y a deux ans, un « Jardin de la mémoire » peuplé de végétaux cultivés par les esclaves – tabac, indigo, canne à sucre, coton – et inauguré une statue de Modeste Testas, une esclave africaine achetée par un négociant bordelais. Le nouveau maire (EELV) de Bordeaux, Pierre Hurmic, compte amplifier cette politique mémorielle.

Par Anne CheminPublié le 14 mai 2021 à 00h0

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