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L’indépendance de la Barbade : un cadeau empoisonné ?

Le 22 septembre 2022, Mia Amor Mottley, première ministre de la Barbade, dans son discours à l’Assemblée Générale des Nations Unies, lance un vibrant appel au monde de la finance internationale pour un moratoire concernant les dettes supportées par les pays en voie de développement et débloquer des trillions de dollars qui seraient destinés à surmonter les nombreuses crises successives sanitaires et environnementales récentes. Dans sa plaidoierie, elle indique que l’île de la Barbade aurait pu consacrer 18% de son revenu intérieur national à la lutte contre les désastres naturels, si celle-ci n’était pas étranglée par le remboursement des dettes. Elle affirme que les sommes données aux banques et aux fonds privés pourraient permettre de s’attaquer la pauvreté à la Barbade, aider les communautés à s’adapter aux changements climatiques, constituer un fonds de transition vers les énergies renouvelables et renforcer son système de santé.

La Barbade est actuellement en attente d’une aide équivalente à 300 millions de dollars aggravant la dépendance de l’île au Fonds Monétaire International, les dettes publiques de la Barbade étaient déjà équivalentes en 2020 à plus de 5.4 milliards de dollars (157% du Produit Intérieur Brut comparé à environ 54% en 1999), la plaçant en troisième position après le Japon et la Grèce en termes de ratio PIB.

Le risque d’incapacité de remboursement des charges ou intérêts des dettes publiques est par conséquent élevé et ne cesse d’augmenter avec chaque sinistre environnemental auquel sont régulièrement exposées les îles caribéennes.

La situation de la Barbade nous intéresse particulièrement car elle a finalisé son indépendance par rapport à la monarchie britannique en novembre 2021, cette indépendance ayant été officiellement reconnue le 30 novembre 1966. Il s’agissait d’une promesse électorale du parti travailliste de la Barbade, parti brillamment conduit par Mia Amor Mottley. La question induite par cette situation est donc : doit-on privilégier sa souveraineté politique pour ensuite abandonner la souveraineté économique de son pays et mettre sa population dans les terribles mâchoires du FMI ?

La rupture avec la couronne britannique a été envisagée puis organisée en dehors de tout consensus de la population barbadienne dont le mécontement pourrait se manifester si les mesures économiques imposées par le FMI deviennent insoutenables et avoir comme conséquence le renversement du parti travailliste.

Dans l’article du New York Times du 27 juillet 2022 intitulé The Barbados Rebellion – An island nation’s fight for climate (La révolte de l’île de la Barbade et son combat pour le climat), la problématique de la Barbade est clairement énoncée ; la Barbade est en manque d’argent au point qu’elle doit emprunter pour payer les intérêts des anciens prêts. Bientôt, le pays n’aura d’autre choix que de se déclarer insolvable, provoquant ainsi une bataille avec des douzaines de banques et de créanciers et déclenchant des mesures d’austérité qui enfonceront l’île dans une plus grande misère. Mia Mottley marche sur une corde raide. La pandémie a privé la Barbade de 86% de son chiffre d’affaires touristique et a laissé l’économie de l’île chancelante.

Les opposants du parti travailliste émettent des critiques sur le fait que Mia Mottley ait fait de l’indépendance son cheval de bataille alors que la population barbadienne n’était pas assez convaincue que le changement de statut constitutionnel de l’île allait changer leur vie en quoi que ce soit. On lui reproche de ne pas avoir organisé un référendum. Guy Hewitt, ancien diplomate et personnalité politique du Democratic Labour Party a déclaré « Les républiques démocratiques ne se construisent pas sur un faible consensus du peuple mais doivent absolument être basées sur une implication active et informée du peuple afin de se maintenir sur de bons rails. Je crois que la Barbade a démarré du mauvais pied.»

Mia Mottley fonde sa stratégie sur un constat : les pays pauvres subissent les contrecoups de la pollution des nations riches. Mais la présentation d’un plan financier contre les désastres climatiques risque de se révéler comme une solution superficielle plongeant la Barbade sous une perfusion temporaire. Dès la première défaillance à se réformer, c’est-à-dire, les licenciements dans les services publics, l’augmentation des taxes et de la production, la mise aux enchères de biens nationaux, jusqu’aux économies sur les services de santé, les versements du FMI par tranches cesseront et la confiance des banques s’envolera obstruant toute possibilité de nouveaux prêts provenant de fonds bilatéraux ou multilatéraux.

Quant aux effacements de dettes, ils se produisent rarement. On peut citer l’accord de Londres du 27 février 1953, en faveur de l’Allemagne et réduisant ses créances de 60%, ou l’accord de Gleneagles du G8, en 2006, sur une annulation de dettes envers les organisations multilatérales (FMI, Banque Mondiale et Banque Africaine de développement) dont 24 pays pauvres ont bénéficié, notamment le Ghana et le Malawi. Malheureusement la situation a évolué rendant de nombreux pays tributaires d’investissements privés avec lesquels les négociations sont quasi impossibles.

Le point sur lequel le monde de la finance et les pays pauvres pourraient s’accorder est la prise de conscience des périls économiques dus aux pandémies et aux catastrophes naturelles et impactant considérablement les îles caribéennes. Des solutions d’urgence pourraient être proposées telles que des taxes prélevées sur les nations les plus pollueuses, par exemple les Etats-Unis et la Chine, pour être reversées aux nations les plus pauvres et généralement les moins actives en termes de pollution.

L’indépendance de la Barbade a-t-elle un lien de cause à effet quant à sa situation économique actuelle ?

La Barbade est dotée de grands atouts tels que sa forte attractivité touristique, sa particularité de paradis fiscal ainsi que sa langue, l’anglais, partagée avec de nombreuses îles caribéennes, les Etats-Unis, le Canada. Mais des erreurs décisionnelles depuis son indépendance en 1966, ont caractérisé son parcours économique. La déclaration de Mia Mottley en 2018 a failli mettre l’île en défaut de paiement de façon définitive : « Aujourd’hui, mes amis, nous allons nous débarrasser des mains qui nous étranglent », une phrase signifiant que la Barbade décidait ne ne plus payer ses dettes. Les réactions furent immédiates puisque les titres de la Barbade sur les marchés financiers se sont effondrés et la notation de confiance de l’île fut rétrogradée. Mia Mottley avait également reçu, au moment de son élection, un héritage de mauvais management et de corruption qui s’étaient développés durant des décennies. D’autre part, la rupture définitive avec la couronne britannique a privé la Barbade de fonds d’aide conséquents  et de la confiance des banques de Londres.

En conclusion, les termes de colonialisme et d’impérialisme demanderaient à être revisités dans un monde où les forces de pouvoir se modifient de façon drastique et en faveur d’organisations financières puissantes imposant leurs règles même aux nations les plus « développées ». Le colonialisme financier de la Chine, par exemple, n’est-il pas plus à craindre que la solidarité européenne et particulièrement française dont nous bénéficions aux Antilles ?

Aurore Holmes

Bibliographie : The Barbados Rebellion – An island nation’s fight for climate (La révolte de l’île de la Barbade et son combat pour le climat), New York Times du 27 juillet 2022.

https://www.globalcitizen.org/en/content/mia-mottley-unga-debt-relief-speech/
https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220929-la-barbade-futur-premier-destinataire-d-un-fonds-sp%C3%A9cial-du-fmi-pour-le-changement-climatique

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