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Les Afrikaners aussi sont noirs !

Qui sont les Afrikaners ? Le dictionnaire Le Robert donne cette définition :

« Citoyen de l’Afrique du Sud, d’ascendance néerlandaise. Les Afrikaners parlent l’afrikaans.» D’autres définitions apportent une précision : « Blanc de l’Afrique du Sud. »

Or, Jaco Greef, Professeur en génétique à l’université de Pretoria (Afrique du Sud) et Carina Schlebusch, Professeur agrégé en génétique des populations à l’université d’Uppsala (Suède), nuancent et même contredisent ces définitions.

Avant de dérouler les conclusions issues de leurs recherches scientifiques concernant les origines génétiques des Afrikaners, nous pourrions nous poser cette question essentielle : si les Afrikaners avaient gardé la mémoire de leur histoire ou du moins l’avaient transcrite sur des registres, l’Afrique du Sud aurait-elle connu les mêmes évènements dramatiques liés aux politiques de ségrégation ?

Dans un article intitulé « Ce que les analyses génétiques révèlent sur les ancêtres des Afrikaners d’Afrique », publié dans The Conversation, le 20 mai 2021, Jaco Greef et Carina Schlebusch nous offrent un résumé des résultats de leurs recherches que nous traduisons ci-après :

Les gens sont très naturellement fascinés par leur propre histoire. Toutefois, celle-ci est souvent mal documentée, retranscrite avec partialité, ou pas du tout retranscrite. Etant donné le rôle central que les origines ethniques ont joué et jouent encore dans la politique sud-africaine, il apparaît nécessaire d’obtenir une estimation impartiale (basée sur des données scientifiques) de l’histoire génétique des Afrikaners. Nous avons donc décidé d’approfondir nos connaissances sur le métissage dans la formation de la population des Afrikaners, en ayant une approche des variations génétiques de leurs génomes.

Ces recherches nous ont mené à six découvertes essentielles. Premièrement, nous avons obtenu la confirmation de la période de métissage concernant la région du Cap. Deuxièmement, nous avons constaté un apport génétique limité de la part des individus du Sud de langue Bantou, fermiers qui ont colonisé la partie sud de l’Afrique, à partir du nord, vers 500 AD et plus tard. Cela a également confirmé la relative popularité des femmes indiennes en tant que partenaires des premiers colons. Ces recherches ont démontré de façon inattendue, un apport génétique fréquent des populations Khoekhoe et San (deux groupes ethniques noirs d’Afrique Australe, non bantous) et aussi un plus grand apport génétique venant de l’Afrique de l’ouest comparé à celui de l’Afrique de l’est. Le constat assez étonnant est l’absence de consanguinité chez les Afrikaners.

Pourquoi les informations historiques ne sont pas enregistrées ?

Le métissage durant la formation de la population Afrikaner est transcrite dans les archives généalogiques, mais de façon très partielle, pour de multiples raisons :

Premièrement, au cours des 17e et 18e siècles, un certain nombre de femmes utilisaient le même toponyme « van de Kaap » (signifiant « venant du Cap ») quelque soit l’origine de leurs parents, immigrants européens ou esclaves.

Deuxièmement, il a pu être suggéré, mais non enregistré, que les fermiers européens du Cap ont eu des enfants avec des femmes Khoe-San. Troisièmement, de nombreux enfants, nés dans le bâtiment de la Compagnie des Indes réservé aux esclaves, étaient issus de pères européens inconnus, ce bâtiment servant de « bordel » pour les marins ou autres colons européens.

On note également que de potentiels et importants groupes sources génétiques, tels que les substantielles communautés musulmanes, une petite communauté chinoise ainsi que le peuple local Khoe-San n’étaient pas enregistrés car non chrétiens.

Rappelons aussi que les couples mixtes devaient être discrets sur leurs relations puisque les mariages entre esclaves et européens étaient illégaus à partir de 1685.

La génomique des Afrikaners

Nous avons comparé les Afrikaners de notre étude à 1 650 individus provenant de 32 groupes de populations à travers le monde et nous avons découvert que 4,7% de l’adn de chaque individu a une origine non européenne. Cela paraît être un petit pourcentage,

mais il faut prendre en compte que 98,7% des Afrikaners sont métissés.

Les enfants dont les parents viennent de populations différentes reçoivent un ensemble de chromosomes provenant de chacune des populations. Avec chaque génération, les paires de chromosomes (un de chaque parent) sont recombinés et les recombinaisons répétées donnent des segments d’adn de plus en plus courts de chacune des populations.

Nos études prouvent que la période des métissages remonte aux alentours de 1681. Cela correspond à l’époque où les colons commencèrent à s’installer dans la région du Cap. Par exemple, en 1657, 142 travailleurs de la Compagnie des Indes furent libérés de leur emploi pour s’y établir ; 156 français Huguenots s’installèrent en 1688 et à partir de 1675, plus de 100 esclaves arrivaient chaque année. Donc, ces estimations correspondent parfaitement aux enregistrements généalogiques et historiques des premières périodes coloniales du Cap de la Bonne Espérance.

Le métissage entre Européens et Khoe-San était bien plus fréquent que ne le suggèrent les archives des églises.

Dans nos études, bien que chaque individu Afrikaner ne présente que 1.3% provenant des Khoe-San, la plupart des Afrikaners détiennent des genes Khoe-San.

L’apport non européen le plus élevé vient de l’Asie du Sud (Inde). Cela révèle une tendance bien établie des premiers colons à se marier avec des esclaves indiennes libres. Un peu moins de 1% des genes des Afrikaners provient de l’Asie de l’Est (Chine ou Japon).

L’apport génétique de l’Afrique de l’ouest et de l’est est moins important, à 0,8%. Il provient certainement des 18 000 esclaves venus des côtes africaines de l’ouest et de l’est. La part des genes provenant de l’Afrique de l’ouest est légèrement supérieure à celle de l’est, révélant le fait que malgré leur nombre peu élevé, ils sont arrivés quatre générations avant ceux de l’Afrique de l’est.

La représentation construite sur les Afrikaners est qu’ils sont issus de peu d’ancêtres, ce qui signifierait un taux de consanguinité élevé. La consanguinité a comme résultat de longs segments de chromosomes paternels et maternels tout à fait identiques. Or, notre étude prouve, en examinant la longueur des segments identiques, que les Afrikaners possèdent des segments aussi variés que l’européen moyen. Cela est dû au métissage entre non européens et européens, mais aussi parce que les origines européennes sont également diverses.

Le plus important apport génétique européen provient du nord-ouest de l’Europe, constitué en grande partie des gènes suisses allemands. Cela peut signifier un mélange entre Allemands, Néerlandais et Suisses, en accord avec les archives généalogiques.

En conclusion, malgré les lois interdisant les mariages mixtes dès 1658 et malgré la discrimination qui a culminé avec le système d’apartheid, ces analyses génétiques confirment que la plupart des Afrikaners ont des ancêtres métissés. Les informations généalogiques ont bien indiqué cette tendance, mais ces découvertes génétiques sont irréfutables.

Aurore Holmes pour Tous Créoles

Pour en savoir plus :

https://theconversation.com/what-genetic-analysis-reveals-about-the-ancestry-of-south-africas-afrikaners-133242

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