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Le 22-Mai nous appartient à tous !




Nelson MANDELA (tableau de Claude CAUQUIL)

Lors de sa création en 2007, notre association « Tous Créoles ! » a inscrit dans ses statuts, entre autres devoirs, celui d’œuvrer à l’acceptation générale de la date du 22-Mai pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage à la Martinique. Par conséquent, il est pour nous statutairement naturel, mais aussi moralement nécessaire, de célébrer chaque année l’événement qui constitue, selon nous, l’acte de naissance du peuple martiniquais. En effet, quelle autre date de notre courte histoire pourrait être plus symbolique que celle qui a vu, pour la première fois, uniquement des citoyens libres peupler notre île ?




Mais voilà que, cette année encore, quelques contestataires viennent dénier à « Tous Créoles ! » la légitimité d’une telle commémoration, au motif que seuls des descendants d’esclaves seraient habilités à célébrer ce jour où leurs ancêtres captifs ont conquis à la fois leur liberté perdue et cette humanité qu’on prétendait leur nier…
Une telle vision des choses traduit tout d’abord une certaine ignorance de la diversité des membres de notre association. Mais cela nous pouvons le comprendre, dans la mesure où il est toujours plus facile d’affirmer une fausse information conforme à une conception intellectuelle cloisonnée de notre société martiniquaise, que de rechercher les vraies données, celles-ci pouvant contredire la construction figée de cette même société que se sont faite ces grincheux. Car notre association « Tous Créoles ! » est constituée de femmes et d’hommes issus de toutes les composantes de la communauté créole antillaise : Noirs, Mulâtres, Indiens, Chinois, Békés, Syro-libanais, mais aussi des Métropolitains et des Africains ayant adopté depuis longtemps la créolité comme démarche de vie et de pensée.
De sorte que, lorsque « Tous Créoles ! » commémore en 2011 et pour la quatrième fois depuis sa création le 22-Mai, ce sont tout à la fois des descendants d’esclaves et des descendants d’esclavagistes, des descendants d’immigrés indiens, africains, chinois, syriens, qui commémorent ensemble. Et c’est bien là toute la force et la symbolique de notre mouvement : un « collé-zépol » entre toutes les composantes de notre mosaïque sociétale martiniquaise. Qui donc pourrait leur nier leur légitimité à célébrer le 22-Mai ?
De prétendre limiter cette légitimité aux seuls descendants d’esclaves aurait pour conséquence d’interdire au Président de la République française de s’incliner, comme il l’a fait le 10 mai dernier au nom de la Nation, devant la mémoire des esclaves. Cette manifestation officielle était pourtant attendue par tous les Martiniquais.
Cela équivaudrait à empêcher les Allemands de célébrer l’écrasement sans conditions de l’horreur du nazisme ; pourtant le 9 mai 2010, pour marquer le 65ème anniversaire de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, la plus grande parade militaire organisée en Russie depuis la chute de l’URSS s’est déroulée en présence d’une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement, dont la chancelière Allemande Angela MERKEL.
De même, en 1984, lors de la 70ème commémoration de la bataille de Verdun, le président français François MITTERRAND et le chancelier allemand Helmut KOHL, de sensibilités politiques différentes, se sont tenu la main sur le lieu même de la bataille la plus meurtrière qui ait eu lieu entre leurs deux pays.
En 1993, l’archevêque sud-africain Desmond TUTU constituait la commission « Vérité et Réconciliation » qui a permis la réconciliation nationale de ce pays déchiré, sans hypocrisie et les yeux grand ouverts. Et le 9 mai 1994, Nelson MANDELA était élu président d’une Afrique du sud multiraciale, après avoir souffert de l’apartheid dans sa chair, notamment par 27 années inhumaines de prison. Ce jour-là, en inaugurant selon ses propres dires « la Nation de l’arc-en-ciel », Nelson MANDELA  a tendu la main à ses adversaires d’hier, et sans prononcer un seul mot de revanche ni de haine, il s’est mis à reconstruire.
Autant de personnalités d’une envergure spirituelle considérable, dont l’Histoire retiendra les noms. En tout état de cause, les membres de « Tous Créoles ! » ont choisi en toute liberté de se rassembler dans cette association pour défendre les valeurs créoles de diversité et du droit à la différence, et vont continuer à mener leur action dans un esprit de tolérance et de respect de l’Autre.

6 Commentaires

  1. Loran Kristian

    Est-ce-que l’association « Tous Créoles » mène ou mènera une action en faveur de la création d’une Commission de Vérité et de Réconciliation en Martinique ou ailleurs ? Et, cette CVR, de quel mandat et de quels outils serait-elle pourvue ?
    Sachant qu’on ne réconcilie, logiquement, que des gens qui ne sont pas d’accord, que l’on ne cherche la Vérité que quand elle manque à la lumière, et que ce processus engage publiquement et pour le bien commun, des victimes et des auteurs de crimes ou violences…comment faire ?

  2. Emmanuel

    Contrairement à ce que dit Loran, le processus n’engage pas des victimes et des auteurs de crimes, mais leurs descendants. Ce qui n’est pas pareil ! Aujourd’hui heureusement, il n’y a ni victimes, ni auteurs de crimes… Laisser penser le contraire contribue à diviser les martiniquais et à crisper inutilement notre société.

  3. Loran Kristian

    Je faisais référence à toutes les CVR contemporaines…et il me semble que toutes réconciliaient des victimes et des auteurs de crimes, des descendants de victimes et de criminels…(Ex: http://www.un.org/french/pubs/chronique/2004/numero4/0404p19.html)
    D’où ma question, que je re-présente : s »Il n’y a plus de victimes et d’auteurs de crimes et de violences aux Antilles », comment faire ?
    Comment envisagez-vous, méthodiquement et publiquement, notre « réconciliation nationale » ?

  4. Emmanuel

    Une des réponses est… Tous Créoles !

  5. Loran Kristian

    Si l’une des réponses est « Tous Créoles », je suis heureux que d’autres réponses existent… »sans hypocrisie et les yeux grand ouverts »…

  6. Eric

    Je me permets de donner mon point de vue; puisque j’ai passé un moment de mon temps à lire ce long texte.
    Il me semble là qu’il s’agisse d’une démarche vaine. Vaine car de tous les exemples cités, aucun n’a jugé bon de s’abaisser à se justifier. Vaine encore, car si les membres de Tous Créoles décident de commémorer le 22 mai, en adultes qu’ils sont, ils n’ont pas à demander la permission pour ce faire et encore moins à se justifier. Vaine enfin car, en donnant cette litanie d’exemples et arguties, on pourrait facilement penser que les membres de cette association ne sont pas convaincus de leur démarche: en d’autres termes : « yo ka fè rol « . J’ai tort? Mais ce ne sont que des pensées rapides, « volées » au temps compté d’un évidemment trop court week-end.

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