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« La République a aboli l’esclavage » dites-vous

Esclavage et traite des êtres humains

Il s’agit d’un article du site Hérodote, qui fait le point sur la question de l’abolition de l’esclavage qui n’aurait été que le fait du prince de l’instant, en l’occurrence, la République.

« C’est la République française qui a aboli l’esclavage » : cette phrase a été prononcée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin le 2 février 2023 lors d’un colloque sur l’outre-mer organisé par le magazine Le Point.

Pas de quoi fouetter un chat sauf pour la députée de la Réunion Karine Lebon qui, le lendemain, à l’Assemblée, a affirmé au ministre que « si l’évolution juridique de l’esclavage a été autorisée par le pouvoir, c’est la lutte et le combat des esclaves qui ont rendu leur libération inévitable ». Son collègue Perceval Gaillard a surenchéri en qualifiant les propos ministériels de « révisionnistes et paternalistes. »

Les deux propositions ont chacune une part de vérité. Mais elles n’ont pas leur place dans le débat politique, qui plus est à l’Assemblée nationale. Celle-ci se doit de réunir la communauté nationale autour des enjeux qui concernent les Français de toutes origines et de tous âges : justice sociale, conditions de vie et environnement, souveraineté nationale, liberté d’expression, etc., etc.

Herodote.net étant un média dédié à l’Histoire, ne nous privons pas de décrypter les propositions de nos élus.

La République a aboli l’esclavage :

De fait, c’est un régime républicain qui, à deux reprises, a proclamé l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

La première fois, ce fut le 4 février 1794, par le décret du 16 Pluviôse An II, en pleine Terreur, sous la dictature du Comité de Salut public et de Robespierre, alors que le pays était envahi par une première coalition européenne et agité par de multiples soulèvements royalistes.

Voté dans l’enthousiasme, le décret énonce : « La Convention déclare l’esclavage des nègres aboli dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution. » C’est une première dans l’Histoire universelle !

Du fait des troubles de l’heure, le décret de Pluviôse ne sera en définitive appliqué qu’en Guadeloupe et à la Guyane avant d’être remisé par le Premier Consul Bonaparte le 20 mai 1802 par le décret du 30 Floréal An X.

La Seconde République a plus de chance. Le roi Louis-Philippe Ier ayant été renversé le 27 février 1848, le gouvernement provisoire proclame le principe d’abolition sans attendre, dès le 4 mars. Ce même jour, il constitue une commission pour rédiger et mettre en œuvre le décret afférent.

Tous ces fervents républicains craignent que les élections à venir, au suffrage universel, ne laissent aux milieux d’affaires coloniaux le temps de se ressaisir. Aussi le décret d’abolition est publié dès le 27 avril 1848, pour une mise en application dans les deux mois qui suivront sa proclamation dans chaque colonie.

250 000 esclaves noirs ou métis sont ainsi libérés aux Antilles, à la Réunion comme en Guyane et à Saint-Louis du Sénégal. Ils se voient accordés une citoyenneté pleine et entière.

Les esclaves ont gagné leur libération au prix de leur révolte :

L’événement déclencheur de la première abolition est une violente insurrection qui a éclaté dans la nuit du 22 au 23 août 1791 dans la très riche colonie française de Saint-Domingue, vouée à la culture du sucre.

Esclaves noirs et affranchis revendiquent ce faisant la liberté et l’égalité des droits avec les citoyens blancs. C’est le début d’une longue et meurtrière guerre qui mènera à l’indépendance de l’île sous le nom d’Haïti.

C’est la plus grande révolte servile de l’Histoire… et la seule qui ait abouti. Son importance est soulignée par l’Unesco (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la Culture) qui a fait du 23 août la « Journée Internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ».

À Paris, le 28 mars 1792, l’Assemblée législative vote une égalité de droit entre tous les hommes libres (à l’exception donc des esclaves) mais cette demi-mesure intervient trop tard pour arrêter l’insurrection. L’assemblée envoie donc à Saint-Domingue une commission civile dotée des pleins pouvoirs… ainsi qu’un corps expéditionnaire de six mille hommes.

Des trois commissaires, le plus déterminé est Léger-Félicité Sonthonax, un avocat de la Société des Amis des Noirs qui vit en ménage avec une mulâtresse. Il comprend très vite qu’il n’y a rien à attendre des blancs, hostiles à la Révolution comme aux noirs et aux libres de couleur.

Pour ne rien arranger, voilà qu’en janvier 1793, la France étant passée sous régime républicain, l’Espagne, qui occupe la partie orientale de Saint-Domingue, rejoint la première coalition européenne. Elle offre son aide aux esclaves insurgés contre la promesse de les libérer !

En désespoir de cause, les commissaires de la République décident le 21 juin 1793 d’affranchir les esclaves qui combattraient pour la République. Puis, Sonthonax se résigne à un affranchissement général dans la province du Nord le 29 août 1793 et l’étend le 4 septembre 1793 au reste de l’île. Il ne reste plus qu’à convaincre la Convention d’appliquer l’abolition de l’esclavage à toutes les colonies françaises avec l’espoir que le mouvement s’étende aux colonies des pays ennemis.

Sous la Seconde République, il n’y a pas de véritable surprise. Dans les colonies, la plupart des planteurs ont compris depuis longtemps que l’abolition était devenue inéluctable et s’y étaient préparés en multipliant les affranchissements. À leur manière, les esclaves ont aussi accéléré le mouvement.

À Saint-Pierre, en Martinique, une insurrection éclate dès le 22 mai 1848, avant même qu’ait été connue l’existence du décret. Elle fait 33 morts. Le lendemain, dans l’urgence, le gouverneur de l’île décrète l’abolition de l’esclavage. Même chose en Guadeloupe où le gouverneur abolit l’esclavage le 27 mai 1848 pour éteindre une insurrection naissante.

L’abolition a été préparée par les élites européennes avant la Révolution :

Au siècle dit des « Lumières », les élites raffinées se sont très tôt indignées de la persistance de l’esclavage, à l’image de Montesquieu ou Voltaire. Mais de là à y remédier, il y avait un pas qu’elles se sont gardées de franchir. Tout au contraire, ce siècle, le XVIIIe, a connu la plus grande extension de la traite atlantique avec bien plus d’esclaves transportés d’Afrique en Amérique que dans les deux siècles précédents !

Le trafic s’est même accéléré dans les deux décennies qui ont précédé la Révolution. À Saint-Domingue, de 10 000 par an au milieu du XVIIIe siècle, les entrées d’esclaves atteignent le rythme effarant de 30 000 par an dans les années précédant la Révolution, avec un pic à 60 000 en 1787 (note) !

Pourtant, c’est dans cette même période qu’est né le mouvement abolitionniste. Ses motivations sont strictement éthiques et morales. Elles vont à l’encontre de l’intérêt économique des Européens et bien sûr des milieux d’affaires coloniaux, riches et influents.

L’abolitionnisme naît dans les années 1770 chez les Quakers, des protestants très rigoureux installés en Nouvelle-Angleterre. À leur instigation, l’esclavage est pour la première fois aboli dans la colonie du Vermont en 1777.

En 1787, à Londres, des militants chrétiens fondent la « Société pour l’abolition de la traite » (Society for the abolition of the Slave Trade). Réalistes, ils jugent prématuré de réclamer d’emblée l’abolition de l’esclavage. Leurs homologues français qui fondent l’année suivante la Société des Amis des Noirs n’ont pas cette prudence.

Le 12 mai 1789, au Parlement de Westminster, le jeune député William Wilberforce prononce un premier et virulent discours en faveur de l’interdiction de la traite. Bénéficiant du soutien de son ami le Premier ministre William Pitt, il emportera la décision en 1807 et dès lors se consacrera à l’abolition de l’esclavage, qui interviendra dans les colonies anglaises en 1833, quinze ans avant la France.

Une semaine avant le fameux discours de Wilberforce, le contrôleur des finances Jacques Necker en prononçait un autre, beaucoup plus long et ampoulé, devant les états généraux réunis à Versailles. Par un fait peu connu, il exprimait le soutien du roi Louis XVI au mouvement abolitionniste : « Un jour viendra peut-être, Messieurs, où, associant à vos délibération les députés des colonies, vous jetterez un regard de compassion sur ce malheureux peuple dont on a fait tranquillement un barbare objet de trafic ; sur ces hommes semblables à nous par la pensée et surtout par la triste faculté de souffrir. »

Le principe de l’abolition est inscrit en filigrane dans l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Mais il y a loin des mots à la réalité.

Lors de la célèbre Nuit du 4-Août, qui voit l’abolition des privilèges féodaux, un proche du roi, le duc François de la Rochefoucaud-Liancourt, propose en vain « l’abolition de l’esclavage des Nègres » dans les colonies.

Le 15 mai 1791, le débat fait à nouveau rage à l’Assemblée nationale. Les représentants des colonies, qui sont des planteurs de souche noble, menacent de se séparer de la métropole si l’on abolit l’esclavage. Ils justifient son maintien en invoquant le droit de propriété inscrit dans la Déclaration (« article XVII : La propriété étant un droit inviolable et sacré ») ! Cela n’empêche pas un député, Pierre Samuel Dupont de Nemours, de plaider courageusement pour l’abolition au nom des grands principes : « On nous menace du ressentiment de ces nobles d’outre-mer… Ils se consoleront comme se sont consolés les nobles français qui avaient un peu de sens. Si toutefois cette sécession devait avoir lieu, il vaudrait mieux sacrifier la colonie plutôt qu’un principe ».

Finalement, le 28 mars 1792, l’Assemblée législative se contentera d’établir une égalité de droit entre tous les hommes libres (à l’exception des esclaves), ouvrant la voie aux révoltes futures…

Ces rappels témoignent de la force des idées… et de la capacité de résistance des intérêts égoïstes. Mais gardons-nous de juger nos aïeux et occupons-nous plutôt du présent et de l’avenir (note).

André Larané

Publié ou mis à jour le : 2023-02-12 07:48:44

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