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La mémoire du naufrage d’un navire négrier en 1830

Cap 110La famille Petitjean-Roget s’est toujours passionnée, de façon « héréditaire » pourrait-on dire, pour l’histoire en général, et celle de la Martinique en particulier. Bernard et Hugues Petitjean-Roget ont ainsi créé un blog fort intéressant et bien documenté, sur lequel ils publient les résultats de leurs recherches et travaux : http://immigration-congo.blogspot.fr/
Nous y avons relevé pour vous ce texte, intitulé « La mémoire du naufrage d’un navire négrier », dans lequel les frères Petitjean-Roget évoquent les navires négriers clandestins, et retracent notamment le naufrage au Diamant (Martinique), le 8 avril 1830, de celui dont l’artiste Laurent Valère s’est inspiré pour réaliser sa célèbre oeuvre monumentale, le « Cap 110 ».

J’ai appris en 1972 de la bouche d’un ancien de 90 ans de Fond Requiem, qui le tenait lui même du père de son père, qu’il y avait eu un naufrage d’un navire négrier là, me montra t’il dans la baie de l’Anse cafard. Il me dit qu’il y avait eu de nombreux morts noyés, mais aussi des survivants qui avaient été sauvés par les nègres de l’habitation Latournelle (Elle est devenue Habitation Dizac). A cet endroit quelques années plus tôt nous avions trouvé des formes à sucre en terre cuite. Etait-ce le même navire ?
Le grand-père de cet ancien dont j’estime la naissance entre 1815 et 1825 n’a pu connaître que du naufrage d’un navire de traite clandestine. De ce bateau je voulais tout en savoir. Il devait y en avoir des traces dans quelques archives. Je découvrirai un an plus tard les documents aux archives de la France d’Outre Mer (Série Martinique C 78). Ce navire de traite clandestine avait coulé le 8 avril 1830 à cet endroit. Ainsi je venais de faire le lien entre la tradition orale et les sources historiques écrites. Je découvris plus tard que Schoelcher en parla au chapitre XII de son ouvrage « De l’esclavage des noirs et de la législation coloniale » (Paris 1833).
Dans ce carton je découvris le détail du naufrage de ce navire le 8 avril 1830. J‘avais entre mes mains les rapports détaillés sur ce naufrage en particulier les rapports d’un certain Boitel qui assurait l’intérim du Directeur de l’Intérieur. Son rapport est plus qu’accablant sur la responsabilité plus que probable des notables locaux, propriétaires et géreur de l’habitation Latournelle à Dizac. Le brick qui va se fracasser a été aperçu vers midi. Il se dirige vers le Diamant et jette l’ancre à l’Anse Cafard vers 17 heure. La mer se lève fortement vers 23 heures et le navire dérape puis se fracasse sur les rochers. L’administration ne sera avertie que le lendemain. Les esclaves de l’habitation Latournelle n’ont pu sauver que 26 hommes et 60 femmes, les fers aux pieds. On découvrira que ce navire avait embarqué 330 esclaves ; durant les 4 mois du voyage, 70 avaient péri en mer avant l’arrivée au Diamant, puis sur les 260 arrivés au Diamant, 174 moururent ce jour-là, et seuls 86 survécurent…

Pour avoir montré trop de zèle monsieur Boitel, Directeur de l’Intérieur par Intérim mais en réalité Secrétaire Archiviste, sera conduit à quitter les Antilles à la demande des blancs créoles du conseil privé et sur ordre de l’Amiral Dupotet Gouverneur, pour « avoir reçu à sa table des hommes de couleur libres ».

Ce n’est que plus tard que des recherches furent conduites sur ce drame qui venait clore une longue liste de traite. Rien que dans les dernières années du trafic illicite on retrouva attestée l’arrivée de 8 navires négriers ayant débarqué et vendu leur cargaison : le 31 mai 1828, un navire négrier débarque 195 esclaves au Simon, commune du François, l’un des armateurs est monsieur Amédée Maillet. Le 4 novembre 1828, un navire négrier a débarqué, toujours au François, 395 nègres qui ont été vendus publiquement sur l’Habitation Hardy. Le 12 novembre 1828, près de 500 nègres sont débarqués à la Trinité sur l’Habitation Beauséjour. Le 25 novembre 1828, 212 nègres sont débarqués par le brick « L’entrepreneur » au François sur l’habitation Blampré. Le 4 décembre 1828, une nouvelle cargaison de 130 nègres est débarquée et vendue sur l’habitation Hardy. Le 10 décembre 1828, 200 nègres sont débarqués à Moulin à Vent au François. Le 13 décembre 1828, 180 nègres sont débarqués sur l’Habitation La Pointe. Le 5 janvier 1829, la goélette « La Folie » débarque 114 nègres au François toujours sur l’habitation Hardy. Et il y en eut d’autres souvent armés par des habitants et négociants de la Martinique à partir de Saint Thomas, puisque j’en ai trouvé deux autres l’un au Robert fin 1829, le Commandant de milice de Catalogne sera mis en cause et l’autre le naufrage d’avril 1830 à l’anse Cafard. Cette cargaison était probablement destinée à l’habitation Latournelle et peut être même à une autre habitation aux anses d’Arlet.
C’est avec émotion que je fis part de mes découvertes sur ce drame du 4 avril 1830 en premier lieu à ceux qui m’avaient informé. Ce fut à ce jour le dernier navire négrier illicite connu à la Martinique. Quelques années plus tard un artiste martiniquais, Laurent Valère, va ériger un monument face à cette épave pour ne pas oublier et c’est justice.
Bernard et Hugues Petitjean-Roget, Jeudi 26 février 2009

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