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HOMMAGE AU POETE DE L’ILE MAURICE, EDOUARD MAUNICK

Edouard Maunick, chantre mauricien de la négritude métisse et de la créolité, poète de l’insularité, est décédé à Paris le 10 avril 2021 à l’âge de 89 ans. Natif de l’île Maurice, il laisse derrière lui une importante œuvre poétique riche d’inventions lexicales et de souffle baroque. Compagnon et héritier de Césaire et de Senghor, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre, Edouard Maunick était inspiré par son île, le lieu, la mer, les aromes, le parfum des épices, sans jamais tomber dans le doudouisme. Révolté, métis à la recherche de la beauté du monde, de l’Océan indien à la capitale des lettres françaises, on retiendra d’Edouard Maunick le magnifique recueil intitulé « Ensoleillé vif » (1976), préfacé par Senghor.

Le combat d’Edouard Maunick concernait aussi la langue. Produit de la francophonie mauricienne, il avait fait du français sa langue d’expression privilégiée, n’oubliant jamais de rappeler qu’il était venu à la langue de Voltaire par le créole. Le français que le poète a pratiqué est nourri des mots et des structures de la pensée créole, sans jamais tomber pour autant dans l’exotisme facile.

« L’oralité créole était à la fois la source et l’horizon ».

« Mer ne peut mourir

Aucun totem n’est de cendre… »

Edouard Maunick était aussi fonctionnaire international à l’UNESCO, journaliste, notamment à Jeune Afrique, ambassadeur de son pays en Afrique du Sud sous la présidence de Nelson Mandela.

Marie-Hélène LEOTIN

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Édouard J. Maunick, Paroles pour solder la mer 

Un testament d’équinoxe

(extraits)

15.

…si parler le poème
est une manière de vivre /
alors / j’ai bien vécu
le temps de tous les mots
sédentaires et nomades
dont j’ai forgé le sens
jusqu’au dire infini
du pain et de la boue /
des arbres et des grands vents /
des noces à jamais vives
des îles et de l’ailleurs /
à ma passion rebelle
à tout agenouillement /
mes bruyants soliloques
au nom des petites terres
et de la mienne en propre /
j’ai joint le tressaillement
des choses de la vie /
mais aussi de la mort /
si Dieu est une question /
peu importe la réponse /
l’éternité s’épelle /
elle ne s’écrit que peu.

16.

…je vais par des chemins
de pluie / de cendre et d’encre /
remonter les racines
à la surface du fleuve /
je travaille de nuit
à cause des mots corsaires
que j’arraisonne en douce /
habitué que je suis
à tutoyer la mer /
à mâcher algues vertes
pour cracher des étoiles
comme l’on souffle sur les braises /
je vais / mais pour longtemps /
m’asseoir parmi les arbres
qui m’ont fait chair et chant /
pour armer leurs écorces
contre les vents salants /
j’ai tant et tant d’histoires
en amont de l’exil
que la mémoire s’inquiète
que trop de coups au coeur
ne paralysent paroles
avant que tout soit dit.

17.

…cela qu’au fond de nous
il ne faut pas brûler /
ni bannir / ni solder /
cela / que pour nous perdre /
nous avons arraché
des images de partout
et d’abord de nos îles /
une part solitude
plus habitée que l’air /
que ne vent végétal /
une foule palabreuse
où personne n’appelle /
double profanation
de nos sangs confluents /
cela qui nous détient
en nous-mêmes détenu /
cela qui n’est que rêve
mais nous ouvre les yeux /
une aveugle voyance
où tout n’est que trop vrai /
et j’ai mis des années
à soudoyer les mots
pour le taire à haute voix.

23.

…testament d’équinoxe
dictant la donation
de lumière fissurée /
un tapage océan /
des livres à chair ouverte /
à ceux qui sont d’ici /
de cette ÎLE emportée
dans des plis de mémoire /
bagage à partager /
testament d’équinoxe /
mes mots mal équarris
pour cause d’images créoles
dans une langue concubine
semée de nuits coupables /
quand le sang légitime
irrigue des arbres fous
aux racines palabreuses /
aux fruits incandescents /
cent fois sur le métier
je remets mon ouvrage /
pour vous léguer d’ahan
la part exorcisée
d’insulée solitude.

25.

…il est tard dans mes yeux
pour faire le tour du monde /
mes livres sont rangés /
plus de voyages à lire
que l’envers de l’exil /
masque à son tour masqué
comme cette toile écrue
jeté sur le miroir /
exorcisme d’insulaire
pour arrêter l’éclair /
je ne peux renvoyer
ce qui est resté là
et que je sais pourtant
évidences éphémères /
lents courriers tapageurs
de vieux sangs décodés /
demain / je sortirai
pour aller voir la mer
et ses vaines récidives /
elle ne peut plus prédire /
elle ne peut plus séduire /
j’ai des comptes à régler
avec mythes et mensonges.


Paroles pour sonder la mer, par Édouard J. Maunick, ont été publiées pour la première fois à Paris aux Éditions Gallimard en 1988. Ces extraits (strophes 15-17, 23 et 25, des pages 23-25, 31 et 33) sont publiés sur Île en île avec la permission de l’auteur.

© 1988 Édouard J. Maunick


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