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Histoire et mémoire

Le grand homme défiguré (Photo Antilla)
Le grand homme défiguré (Photo Antilla)

C’est à peu près dans l’indifférence générale de la classe politique martiniquaise que la statue de Victor SCHOELCHER a été défigurée dans la nuit du 11 au 12 septembre dernier… Oeuvre de l’artiste martiniquaise Marie-Thérèse LUNG-FU, femme poète, écrivain, conteur, sculpteur, diplômée de l’école des Beaux-Arts de Paris, cette statue marquait l’entrée de la ville de Schoelcher. Seul le maire de cette commune s’est ému de cet acte de vandalisme et a décidé de porter plainte. C’est bien le moins !

C’est par la plume d’Édouard ANCET, secrétaire général et porte-parole de notre association, que « Tous Créoles ! » tient à exprimer ici son indignation devant  une dégradation qui vise à remettre en cause notre histoire et nos valeurs.

Nous vous proposons également ci-après la lecture d’un texte de Guy FLANDRINA, intitulé « De SCHOELCHER à Tombouctou », qui dénonce l’obscurantisme des auteurs de ce geste.

Edouard ANCET
Edouard ANCET

Ce qui s’est passé à SCHOELCHER, dans cette nuit peu ordinaire du 11 au 12 septembre, nuit également empreinte de cette spiritualité propre à son 160 ième  anniversaire paroissial, doit appeler l’attention et la réflexion de tout Martiniquais responsable de sa liberté et convaincu de l’ardente obligation de comprendre et d’accepter son Histoire.
En effet, après celui de Joséphine, officiellement non revendiqué, ce nouvel acte de vandalisme à l’endroit de cette statue emblématique bientôt jubilaire, œuvre conçue et réalisée par une artiste authentiquement nôtre, est tout simplement crapuleux et honteux.
Crapuleux, parce que prémédité et également encore non revendiqué, parce que exécuté dans la nuit, ouverte au meilleur comme au pire, à la vérité comme à la trahison. Crapuleux parce que naturellement, toute lâcheté détient une médiocre et pitoyable cohérence. Et il y aurait encore beaucoup à dire…
Honteux, et cela est particulièrement indigne. En effet en cette année mémoriale parce que centenaire de la naissance de notre grand Aimé CÉSAIRE, c’est un mauvais coup porté à sa mémoire,
lui le défricheur et éclaireur patient, obstiné et incontestable de notre histoire. Lui qui, à l’égal de l’Abbé GRÉGOIRE, haute figure humaniste et presciente de la 1ère Révolution qu’il honora au cœur de la ville capitale,
lui qui rendit solennellement hommage, en 1948, à la Sorbonne, alors tribune de la pensée plurielle du monde, à Victor SCHOELCHER , le militant, l’Abolitionniste de l’esclavage des Noirs en 1848 à l’aube de la Seconde République, le député de la Martinique.
Quelque soit ce qui résultera de l’enquête en cours, cet outrage à la statue de Victor SCHOELCHER, pour tout citoyen Martiniquais, révèle de la part de certains, un obscurantisme patent, pitoyable, révoltant.
Et chacun de nous, quelle que soit la cause visée et défendue, devrait s’accorder pour que des lieux, des œuvres, des êtres, partie intégrante de notre histoire, ne soient pas bafoués par des incivilités individuelles ou sectaires.
La ville éponyme a porté plainte, mais n’est-ce pas du devoir de chacun, de faire honneur à notre histoire créole en construction, ouverte et plurielle ?
Édouard ANCET, secrétaire général et porte-parole de l’association « Tous Créoles ! »
Guy FLANDRINA
Guy FLANDRINA

De SCHOELCHER à Tombouctou

Dans la nuit du 10 au 11 septembre 2013, la statue de Victor SCHOELCHER -réalisée depuis 1964- située à l’entrée de la ville éponyme a été vandalisée.
Dans l’œuvre originale, Victor SCHOELCHER tenait, dans chacune de ses mains, des chaînes brisées, symbolisant la fin de l’esclavage. Il est debout sur un bas-relief comportant un extrait du décret d’abolition de l’esclavage : « Nulle terre française ne peut plus porter d’esclave ».
Sur la statue qui vient d’être saccagée des inscriptions outrageantes et exprimant de l’intolérance sont tracées. 
Le ou les illuminés ou pseudo révolutionnaires savent-ils seulement que de leurs mains sacrilèges ils portent atteinte à l’œuvre d’une grande artiste martiniquaise ?!
Cette statue a été réalisée par Marie-Thérèse JULIEN-LUNG-FU, l’une des rares femmes à avoir, en son temps, été admise à l’Ecole des Beaux-Arts à Paris. Femme poète, écrivain, conteur, sculpteur… viscéralement attachée à sa terre et à ses traditions, tout comme son ami l’artiste « Khoko » RENE-CORAIL.
Ne nous a t-elle pas d’ailleurs légué les fameuses « Recettes de Da Elodie » ? N’est-ce pas à elle encore que nous devons différentes fables de Jean de La FONTAINE, transposées en créole ?

Une œuvre martiniquaise victime de l’ignorance et de la barbarie 

Le ou les ignares qui en quelques minutes d’égarement ont détruit un pan du patrimoine martiniquais, en cette nuit, veille du 11 septembre, se sont-ils identifiés à un quelconque commando d’Al-Qaïda ? Lesquels, à cette même date de l’année 2001, faisaient exploser deux avions sur les fameuses Twin Towers du World Trade Center de New York, ouvrant l’ère nouvelle du terrorisme international.
Nous savons comment les talibans, arrivés au pouvoir en Afghanistan au milieu des années 90, y ont instauré un régime de terreur fondé sur leur  vision de l’Islam. 

« Talibanisme » tapi dans l’obscurantisme 

Le Nord du Mali et la ville de Tombouctou sont, à la fin des années 1960 et au début des années 1990, les proies de touaregs armés. La région est secouée par de violentes insurrections dont l’objectif est d’obtenir plus d’autonomie et le désenclavement de cette région où ils sont majoritaires.
Le 27 mars 1996, une cérémonie de « la Flamme de la Paix » voit les insurgés brûler 3.000 armes.
Les populations de la zone peuvent enfin espérer vivre plus sereinement et contribuer au développement de leur pays.
En 1998, Tombouctou est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses richesses culturelles et historiques (mosquée, mausolées et manuscrits).
Mais, le 1er avril 2012, le MNLA (Mouvement National pour la Libération Armée) prend le contrôle du Nord Mali et tient l’armée du pays en échec. Très rapidement, les islamistes salafistes radicaux s’imposent. Le 28 juin 2012, l’UNESCO classe la ville au « patrimoine mondial en péril » car elle craint le pire. Elle n’a pas tort : le 1er juillet, sept des seize mausolées érigés pour certains des 333 saints que compte la ville sont détruits.
Du 30 juin à fin décembre, les islamistes des mouvements AQMI et Ansar Dine se lancent dans la destruction systématique des tombeaux des saints musulmans et des mausolées de la ville ; une catastrophe pour la mémoire de l’Afrique, en particulier, et de l’Humanité en général.
La menace pesant sur un ensemble de près de cent mille manuscrits datant de la période impériale ouest-africaine (au temps de l’Empire du Ghana, de l’Empire du Mali et de l’Empire Songhaï) fait redouter le pire !
Chaque fois, la barbarie plonge ses racines dans le même terreau d’un immuable triptyque : l’inculture, l’intolérance, la haine.
Si un certain islamisme radical sévit assurément de nos jours, les chrétiens ont jadis également été  les auteurs de moult barbaries et autres autodafés à l’époque de l’Inquisition instituée par le pape Grégoire IX.
Les chapelles quelles soient : cultuelles, culturelles, politiques ou sociales ont rarement, dans l’Histoire, fait communier les hommes ; au sens noble du terme.
Faut-il encore remarquer que sur le buste saccagé de SCHOELCHER une phrase lui reproche son appartenance à la franc-maçonnerie, tout comme l’aurait fait le régime nazi (1933/1945) de Adolphe HITLER.
Ces actes témoignent, s’il en était encore besoin, que ni les portes de l’Inquisition, ni les tables d’un islamisme radical, ni les pages de « Mein Kampf » 1 ne sont encore totalement refermées…
Les monstres qui se nourrissent de l’intolérance et de la haine, sont tapis dans l’ombre. Ils peuvent à tout moment resurgir, notamment en période de crise économique…
Ni le refus d’assumer notre Histoire dans toute son acception, ni le silence des uns et des autres, ni le regard tourné ailleurs pour les ignorer, ni les imprécations de quelque nature que ce soit ne les feront reculer.
Seuls : la connaissance, la tolérance, le développement économique et la solidarité auront raison d’eux.
Peut-être serait-il temps de faire mentir Aimé CESAIRE 2  qui parlant des martiniquais observait, fort justement : « cette foule (…) ne se mêle pas : habile à découvrir le point de désencastration, de fuite, d’esquive. Cette foule qui ne sait pas faire foule (…) ».
Alors que l’Europe s’apprête à célébrer, les 14 et 15 septembre, « Les journées européennes du patrimoine, 1913-2013 : 100 ans de protection », saurions-nous accepter que d’aucuns détruisent ce qui forge notre singulière identité plurielle ; tandis que nous semblons être dans une constante quête mémorielle ?

 Guy FLANDRINA 

1 « Mein Kampf » : livre qui dévoile la doctrine de A. HITLER fondée sur l’ultra nationalisme, l’apologie de la force et du racisme.
2 « Cahier d’un retour au pays natal », Présence Africaine, 1956.

7 Commentaires

  1. Michel Cassius de Linval

    Comme disait Georges Brassens, « Quand on est con, on est con. »

  2. Valérie GARAUD REGUILLET

    lache et pathétique.

  3. Erick

    J’aime mon pays. Je respecte tous ceux qui de près ou de loin ont œuvré à faire de nous des hommes et des femmes émancipés, capables de se regarder en face pour un mieux vivre ensemble. Ceux qui ont poussé à l’exécution de cet acte odieux ne sauraient être des Martiniquais profonds. De grandes héroïnes, telles LUMINA Sophie (Martinique), SOLITUDE (Guadeloupe) doivent se retourner dans leur tombe.

  4. Guy FLANDRINA

    Merci à « Tous créoles » pour l’intérêt accordé au texte relatif à la dégradation de la statue de Victor Schoelcher.
    Très cordialement
    Guy FLANDRINA

  5. DONATIEN Yves

    Etant absent de la Martinique, j »ai appris avec stupeur
    et indignation la profanation dont a été l’objet la statue de Victor SCHOELCHER.
    Devant, sauf erreur de ma part, le silence des politiques et des intellectuels de notre pays, j’ai été réconforté par la lecture des textes de Guy FLANDRINA et d’Edouard ANCET.
    Notre pays est sur une pente dangereuse.

  6. Petitjean roget hugues

    Méprisable profamation de la statue de Schoelcher, l’homme de la Révolution de 1848. Que nous reste-t-il de cette Révolution sinon l’abolition immédiat de l’esclavage. Et cette Joséphine toute créole, elle avait sauvé sous La Révolution (la vraie) sa tête avec son petit panier et voila qu’elle l’a perdue une fois statufiée. Quelle pourriture.

  7. GAMESSAntoinette

    Cette année, il faudra répondre, une fois de plus aux enfants alsaciens qui séjournent chaque année à Schoelcher, dans le cadre des échanges SCHOELCHER-FESSENHEIM:
    Pourquoi La statue de Joséphine n’a-t-elle pas de tête?
    Où est la main de la statue de Schoelcher?
    Qui a défiguré la statue de Schoelcher à Schoelcher?

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