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Et si la Guadeloupe décidait de reprendre confiance…

Delile DIMAN-ANTÉNOR (photo France-Antilles)

Économiste, présidente du Comité de pilotage du Projet guadeloupéen de société, Delile DIMAN-ANTÉNOR livre ici une intéressante analyse sociétale sur la Guadeloupe, qui -par bien des points- pourrait tout aussi bien concerner la Martinique…

J’ai participé en 2009 aux Etats-Généraux de la Guadeloupe décidés par le Président de la République d’alors, Nicolas SARKOZY. J’y ai participé en tant que
président de l’atelier « formation des prix » d’une part, et en qualité de rapporteur général, d’autre part. A ces deux titres, j’ai écouté les Guadeloupéens qui se sont exprimés, lu les contributions et analysé les propos et les écrits. Suite au Congrès de lancement du Projet Guadeloupéen de Société (PGS) du 24 juin 2009, j’ai accepté en décembre 2011 la mission de relancer et d’animer les débats autour du PGS. Enfin, j’ai aussi participé au débat sur la refondation de l’école qui s’est tenu en septembre 2012. Débat court, mais intense.
Les Guadeloupéens souhaitent affirmer leur identité, la valoriser et ils le font savoir.
Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre de ces circonstances, la parole a été libre, très libre, quelquefois abrupte, mais exprimant toujours cette même quête identitaire. Une identité faite de mès é labitid : musique, langue, cuisine, mais aussi valeurs considérées (à tort ou à raison) comme fondant notre société, et menacées, à en croire certains, de disparition (respect des aînés, partage, solidarité…). Ce besoin d’identité va bien au-delà puisqu’il prend la forme d’une demande de « préférence locale » : soutien à la production locale, qu’elle soit agricole, industrielle, culturelle, sportive, et même demande d’adaptation des programmes scolaires.
Cette identité s’affirme dans nos « petites régions ».Par exemple, moun Marigalant pa moun Dézirad. On redécouvre au fil des années que le bébélé est de tradition marie-galantaise, le tourment d’amour de tradition saintoise. Même, on sait que le gwoka est de Guadeloupe, mais qu’il ne se joue pas strictement de la même façon en Côte sous-le-vent, en Grande-Terre ou encore dans le Nord Basse-Terre ! On pourrait en dire autant du quadrille.
Cette forte affirmation identitaire s’appuie d’abord sur nos traditions, mais aussi, pour une large part, sur la créativité et l’innovation dont font preuve beaucoup de Guadeloupéens. Des regards extérieurs sont souvent impressionnés par tout ce que recèle notre petit territoire et ses dé tèt-a-lak d’habitants : danse, peinture, musique, industrie, tourisme, recherche… Prenons le temps de regarder ! Tout est là.
Et pourtant, la désespérance existe, très présente dans les relations sociales !
La Guadeloupe n’a pas confiance, c’est clair ; ce message a été abondamment crié ces dernières années et a été répété pendant tous les débats auxquels il m’a été donné de participer. La Guadeloupe n’a pas confiance dans les élus, mais elle n’a pas non plus confiance en elle. Pour les citoyens de ce pays, rien ne va. Bien sûr, il y a la tentation passéiste : « Avant, c’était mieux », mais le mal est plus profond. L’idéologie du « tous pourris » gagne toute notre société. Le monde politique est en première ligne. Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas que des élus actuels. Arrivent en première ligne ceux qui sont aux commandes, bien sûr, mais aussi leurs opposants actuels et même potentiels. Au-delà de la sphère politique, les intellectuels ne sont pas en reste, et plus généralement tous ceux qui s’expriment ou qui prennent une initiative dans quelque domaine que ce soit : « Ka misyé ka konprann ? » « Sa misyé fè-la pa bon » « Ay !
Dapré untèl, i pli fò ki pèsonn ».
C’est vrai que les citoyens se heurtent à des problèmes récurrents qui leur pourrissent la vie : se déplacer, avoir de l’eau dans les robinets, les déchets qui
s’amoncellent, les grèves… sans compter le chômage, les difficultés de la famille, de l’école !
Résultat, il est difficile d’aller de l’avant, difficile d’entreprendre sans une bonne dose de courage et de volonté !
Les élus peuvent contribuer à redonner confiance aux Guadeloupéens. Mais comment ? Probablement en s’attachant à les aider à résoudre des problèmes qui
perturbent leur quotidien. Prenons le cas des transports. La situation sur nos routes n’a fait qu’empirer au cours des vingt dernières années. Pensons au jeune collégien ou lycéen obligé de sauter du lit dès 4h du matin pour attraper le transport scolaire ! Pensons à la mère de famille qui n’a d’autre choix que de mettre ses enfants encore en pyjama à l’arrière de sa voiture dès 5h du matin, pour avoir quelque chance d’arriver à l’heure à son travail !
Si l’on se réfère à des exemples de ce type, et si la question institutionnelle ou statutaire se résume à donner une plus grande responsabilité à la classe politique, on peut comprendre la défiance des citoyens. Car comment aller vers davantage de responsabilité quand la responsabilité de base actuelle est si mal assumée ? La défiance des Guadeloupéens, défiance qui peut se comprendre, fait, sans aucun doute, le lit du statu quo.
Pour autant, la Guadeloupe doit rester optimiste
Il faut très vite améliorer le quotidien des Guadeloupéens ; c’est le signal fort dont ils ont besoin ! Comment se projeter dans l’avenir quand le quotidien est si
problématique : se nourrir, se loger, se déplacer…?
Certes des progrès sont, bien sûr, réalisés ici ou là, mais sont peu valorisés et de ce fait ne jouent pas le rôle de levier qu’ils pourraient avoir. Quand des initiatives positives sont prises, elles sont mal relayées et les citoyens peuvent, sans état d’âme, les ignorer. L’action politique manque souvent de lisibilité ; le citoyen, sollicité par de multiples informations, a vite fait de ne capter que l’évènementiel, le sensationnel. Nous avons bien perçu ce problème lors des débats. Ainsi qui se souvient qu’il existe un Schéma Régional de Développement Economique (SRDE), censé donner les grandes orientations de la politique économique de la Région? Qui connaît les choix du Schéma d’Aménagement Régional qui pourtant nous concerne tous au quotidien. Il y a à rendre visible et lisible ce qui se fait ; il y a à informer, à faire preuve de pédagogie.
On voit bien que les médias ont un rôle privilégié à jouer en favorisant un débat construit pour informer et former. Cela suppose investigation et confrontation de sources. Il est vrai que nous nous délectons tous, plus ou moins, des faits divers et du sensationnel, beaucoup moins des réussites, de nos jeunes en particulier. De ce point de vue, nous sommes tous un peu coupables, mais la presse aussi a à s’interroger sur le choix des informations qu’elle véhicule et la manière dont elle le fait.
Nos artistes aussi ont leur mot à dire. Ils se comportent souvent en véritables sentinelles de notre société, car ils décrivent ce qu’ils voient, mais aussi ils anticipent souvent. Il est intéressant, par exemple, d’écouter les paroles de certaines chansons.
Mais les politiques ne sont pas les seuls responsables de la méfiance des citoyens envers le monde politique. Cette responsabilité est partagée. Nous avons tous à nous interroger sur nos comportements en tant que citoyens. Les politiques n’ont pas vocation à résoudre, seuls, la question des déchets, par exemple. Des containers sont installés pour nous inciter à trier nos déchets, les politiques ne peuvent pas trier à notre place et surtout il ne leur appartient pas de ramasser les détritus que nous accumulons devant les containers ; ils n’ont pas vocation non plus à dépenser l’argent public pour détruire nos décharges sauvages !
La confiance entre élus et citoyens est nécessaire pour que les messages des politiques soient audibles. Mais pour que ces messages soient audibles, il faut aussi qu’ils soient étayés, argumentés. Nous avons en Guadeloupe d’excellents juristes qui peuvent y contribuer ! Car au-delà des mots et des articles de la Constitution, il y a les contenus du changement proposé et les modalités de sa mise en oeuvre.
Travay dèyè pòkò mannyé ! 
Delile DIMAN-ANTÉNOR

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