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Et maintenant où allons-nous? (Extraits)

Ce discours du 16 aût 1967 est le dernier que Martin Luther King a prononcé en tant que président de la Conférence des dirigeants chrétiens du Sud.

Lors de la rédaction de la Constitution des Etats-Unis, une étrange formule, en matière d’imposition et de représentation, considérait un Noir comme valant 60% d’une personne. Aujourd’hui, une autre formule non moins curieuse semble l’évaluer à 50% d’une personne. Des bonnes choses de la vie, le Noir a approximativement la moitié de la part d’un Blanc. Des mauvaises choses de la vie, il en a deux fois plus qu’un Blanc. La moitié des Noirs vivent dans des logements dont la qualité est au-dessous de la moyenne et le revenu des Noirs équivaut à la moitié de celui des Blancs.

C’est là que nous en sommes. Et maintenant, où allons-nous? Tout d’abord il nous faut massivement manifester notre dignité et notre valeur. Nous ne devons plus avoir honte d’être noirs. Ce n’est pas une tâche aisée que d’éveiller le sentiment d’appartenir à la grande famille des hommes chez un peuple à qui l’on a enseigné depuis des siècles qu’il n’était rien. La tendance à ignorer la contribution du Noir à la vie américaine, la tendance à le priver de sa qualité de personne, sont aussi vieilles que les premiers livres d’Histoire et aussi récentes que le journal de ce matin. Oui nous devons nous dresser et dire : « Je suis noir et je suis beau », et cette affirmation de soi, c’est ce dont le Noir a besoin, en raison des crimes commis contre lui par l’homme blanc.

Une autre épreuve qui nous attend consiste à découvrir comment tirer parti de notre force dans les domaines économique et politique. L’un des grands problèmes auquel le Noir doit faire face est son manque de pouvoir. Des vieilles plantations du Sud aux nouveaux ghettos du Nord, le Noir s’est trouvé réduit à vivre sans voix et sans force. Le problème de la transformation du ghetto est donc un problème de pouvoir s’il s’agit d’affronter les forces au pouvoir qui cherchent à maintenir le statu quo, et de les combattre avec toute la puissance des forces qui exigent le changement.

Or, le pouvoir dûment compris n’est que la capacité de réaliser ce que l’on se propose de faire. C’est la force requise pour amener le changement social, politique et économique. L’un des grands problèmes de l’histoire est que les notions d’amour et de pouvoir ont été habituellement présentées comme des contraires à des pôles opposés de sorte que l’amour est assimilé à la soumission au pouvoir, et le pouvoir à la négation de l’amour. Ce qu’il faut, c’est comprendre que le pouvoir sans l’amour est abusif et dénué de scrupules; de même que l’amour sans le pouvoir est sentimental et anémique. C’est précisément ce heurt entre un pouvoir immoral et une moralité dénuée de pouvoir qui constitue la crise majeure de notre temps.

Il nous faut mettre sur pied un programme qui conduira notre pays à instaurer le principe du revenu annuel garanti. Nous comprenons désormais que les secousses enregistrées par notre marché économique, jointes à la pratique de la discrimination, contraignent des individus à une oisiveté forcée et les voue à un chômage constant ou fréquent contre leur volonté. Nous savons également que le développement et l’expansion économiques, pour dynamiques qu’ils soient, n’éliminent pas entièrement la pauvreté. Il nous faut créer le plein emploi ou générer des revenus. Tous les individus doivent pouvoir faire acte de consommateurs d’une façon ou de l’autre. Les Noirs qui sont doublement affectés pèseront d’un poids plus grand dans la lutte contre la discrimination quand ils disposeront d’une arme supplémentaire, à savoir les ressources financières.

Permettez-moi de vous dire brièvement que nous devons réaffirmer notre adhésion au principe de la non-violence. La futilité de la violence dans la lutte pour la justice raciale s’est tragiquement manifestée au cours de toutes les émeutes récentes des Noirs. Il y a certainement quelque chose de douloureusement triste dans une émeute. Vous y voyez des jeunes hurlant et des adultes en colère qui se battent sans espoir et sans but alors que toutes les chances sont contre eux. Et au plus profond de vous-même vous décelez dans leur comportement un désir d’autodestruction, une sorte de volonté suicidaire.

Au mieux, les émeutes ont valu quelques subsides supplémentaires aux programmes de lutte contre la pauvreté, octroyés par les fonctionnaires d’un gouvernement effrayé, et quelques fontaines publiques pour rafraichir les enfants des ghettos. C’est comme si l’on se préoccupait d’améliorer la nourriture dans les prisons sans se soucier de la libération future des prisonniers. Nulle part, les émeutes n’ont permis d’obtenir des améliorations concrètes, comme celles que nous ont values les manifestations revendicatives dûment organisées.

Je continue à m’en tenir à la non-violence. Et je suis encore convaincu que c’est l’arme la plus puissante dont puisse disposer le Noir dans sa lutte pour la justice dans notre pays. Je me soucie aussi de rendre le monde meilleur. Je suis soucieux de justice. Je suis soucieux de fraternité. Je suis soucieux de vérité. Et qui se soucie de ces choses ne peut jamais prôner la violence. Car par la violence vous pouvez mettre à mort un meurtrier, vous ne pouvez tuer le meurtre. Par la violence, vous pouvez mettre à mort un menteur, vous ne pouvez établir a vérité. Par la violence vous pouvez mettre à mort celui qui professe la haine, vous ne pouvez en finir avec la haine.

Au moment où nous nous demandons : « Et maintenant où allons-nous? », je veux vous dire avant de conclure qu’il nous faut envisager honnêtement une question: notre mouvement doit se demander à lui-même comment restructurer toute la société américaine. Il y a quarante millions de pauvres chez nous. Et un jour il nous faudra poser la question : « Pourquoi y a-t-il quarante millions de pauvres en Amérique ? ». Et quand vous commencez à poser cette question, vous vous interrogez sur le système économique, sur une plus vaste distribution de la richesse. Quand vous posez la question, vous commencez à mettre en doute l’économie capitaliste. Des mendiants découragés nous appellent à l’aide sur le marché de la vie. Mais un jour nous devrons en venir à considérer qu’un système qui produit des mendiants a besoin d’être remis sur le métier. Cela signifie que des questions ont besoin d’être posées. Quand vous abordez ce domaine vous commencez à poser la question : « A qui appartient le pétrole ? ». Vous commencez à poser la question : « A qui appartient le minerai de fer ? ». Vous commencez à poser la question : « Pourquoi les hommes doivent-ils acquitter des factures d’eau dans un monde formé d’eau pour les deux tiers ? » Ce sont là des questions qu’il faut poser. Mais ne croyez pas que vous allez me coincer aujourd’hui. Il ne s’agit pas de communisme.

Voilà ce que je vous dis: le communisme oublie que la vie est individuelle. Le capitalisme oublie que la vie est sociale. Le royaume de la fraternité ne se trouve ni dans la thèse communiste ni dans l’antithèse capitaliste, mais dans une synthèse supérieure. Il se trouve dans une synthèse supérieure qui combine les vérités de l’un et de l’autre. Quand je dis de remettre en question toute la société, cela signifie, en définitive, qu’il faut voir le problème du racisme, le problème de l’exploitation économique et le problème de la guerre comme liés ensemble. Ces trois maux entretiennent les rapports entre eux.

Je conclu donc en répétant aujourd’hui que nous avons une tâche à remplir et que nous devons manifester notre « divine insatisfaction ». Nous ne serons pas satisfaits tant que l’Amérique souffrira d’hypertension dans le domaine des croyances et se montrera anémique dans le domaine des actes. Nous ne serons pas satisfaits tant que les forces de la justice n’auront pas pulvérisé à grands coups de bélier les tragiques murailles qui se dressent entre la confortable cité des riches et la cité intérieure de la pauvreté et du désespoir. Nous ne serons
pas satisfaits tant que les exilés, réduits à vivre au-delà des frontières de l’espoir, ne seront pas réintégrés dans la métropole de la sécurité quotidienne.

Je dois vous l’avouer, mes amis, le chemin qui s’ouvre devant nous ne sera pas toujours facile. Nous rencontrerons de monstrueuses déceptions et des craintes en lacet. Il y aura, ça et là , d’inévitables retours en arrière. Il y aura des moments où l’exubérance de l’espoir cédera à la fatigue et à la désespérance. Nos rêves seront souvent ébranlés ; nos espoirs les plus éthérés voleront souvent en éclats.

Pour difficile et douloureux que ce soit, il nous faudra marcher dans les jours à venir avec une foi audacieuse dans le futur.

Martin Luther King

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