Par Béatris COMPÈRE, Co-présidente de l’association « Tous Créoles ! »
 À bien y songer, lorsqu’en 1989 Patrick Chamoiseau, Jean Bernabé et Raphaël Confiant publiaient leur Éloge à la Créolité, peut-être ne se doutaient-ils pas (surtout si on se réfère à la levée de boucliers qu’avait suscité ce texte à l’époque !) du formidable outil de travail et d’investigation qu’ils mettaient alors à la portée, non seulement des intellectuels, mais des peuples Créoles eux-mêmes !
L’analyse de départ, commune à la fois à Patrick Chamoiseau et à Jacques Petitjean-Roget, est que l’Habitation aura servi de creuset, ‘’d’aire de civilisation » en ce sens qu’elle aura été le lieu de densité et de sédentarité nécessaire par lequel arrivera l’acculturation, première phase de la construction de la Créolité, c’est à dire la prise de pouvoir d’une culture (mieux établie car sûre de son bon droit) sur d’autres (moins armées car dominées). Le deuxième temps de cette construction, facilité à la fois par l’Habitation et cette autre lieu de densité qu’est le marché créole est l’entrée en communication, l’interpénétration des cultures (restantes) initialement en présence.
C’est donc ainsi qu’au fil de l’histoire, des grands mouvements de population de la fin du XIXème siècle et du début du XXème (métissage amérindien, abolition de l’esclavage, arrivée des Chinois, des Hindous puis plus tard des « Levantins ») que se forgera petit à petit cette « identité mosaïque » chère à Ernest Pépin, s’épanouissant alors en dehors de l’Europe et de l’Afrique comme modèles.
Ce foisonnement, cette perpétuelle mutation est ce qui, selon l’interprétation de Claude Levy-Strauss, fait des cultures créoles des cultures « chaudes » par opposition à celles (froides) immobilisées dans la tradition et l’oralité.
Nos cultures créoles sont en effet soumises à une loi biologique commune à tous les êtres vivants appelée l’homéostasie, cette capacité à maintenir son équilibre tout en intégrant et en unifiant différents éléments de notre environnement (dans notre cas les langues, les cultures, les techniques).
Depuis son origine et afin d’assurer tant son maintien que son développement, la Créolité a coutume d’intégrer ces différentes influences… En les créolisant !
Pour autant, les Créoles (ou tout au moins les langues créoles) sont-ils appelées à disparaître, faute d’unicité ou au contraire d’une évolution trop rapide ? C’est le sens du travail de recherche de Marie-Christine Hazaël-Massieux, qui démontre que les langues créoles sont véritablement autonomes et pas simplement des langues diverses, justement grâce à leur perpétuelle mutation. Il en va très certainement de même pour nos cultures créoles, inévitablement appelées à évoluer aux contacts du monde, de ce processus de « créolisation » cher à Edouard Glissant.
Toutes ces réflexions nous amènent à une importante conclusion : nous nous devons absolument d’être vigilants afin que le travail nécessaire que nous, écrivains, sociologues, politologues et associations menons sur le sujet ne fasse pas de la créolité une identité (forcément figée et froide) et donc en contradiction totale avec sa genèse et son évolution jusqu’à aujourd’hui.
Béatris COMPÈRE, Co-présidente de l’association « Tous Créoles ! »
**C’est là le sens de la démarche de « Tous Créoles ! » en proposant aussi bien l’espace interactif qu’est la page « Réflexion créole » que le questionnaire ci-dessous.

• À lire : Vincent Huyghues Belrose, “Le paysage martiniquais entre archéologie et atlas.” in revue Études caribéennes, no 4, 2007. 
• Gerry L’Etang, “Créolisation et créolité à la Martinique : essai de périodisation.” 
• Marie-Christine Hazaël-Massieux, « Les créoles à base française », éd. Ophrys