RETOUR SUR LA DÉFINITION DU MOT CREOLE
A l’occasion du mois du créole qui s’achève, il nous apparait opportun de revenir sur la définition d’un mot qui ne cesse de subir un long glissement sémantique, au point que les dictionnaires d’aujourd’hui feraient bien de revoir leur copie…
S’il est vrai que différents dictionnaires renommés donnent encore au terme « créole » la définition de « personnes de race blanche nées dans les Antilles intertropicales », il n’en est pas moins vrai que ce mot a connu – et continue de connaître – un glissement sémantique considérable. En effet, il y a longtemps que « cuisine créole », « maison créole » ou « littérature créole » ne désignent plus la cuisine, l’habitation ou les écrits de « personnes de race blanche nées dans les Antilles intertropicales ».
De fait, la créolité rompt avec une structuration identitaire figée ; c’est un processus constant, à partir duquel se fondent toute son originalité et la force de sa modernité. Car chercher à figer nos identités serait une entreprise illusoire, tout autant que prendre notre pays pour en faire un enclos, à l’heure où le monde devient un village trans et inter connecté.
La créolité est une novation qui préfigure certainement l’individu de demain. C’est là, pour notre époque, un avantage certain. Reste à purger notre société des démons qui l’accompagnent depuis sa naissance, depuis le chaudron fondateur de l’esclavage. Voilà pourquoi, nous semble-t-il, notre société est encore bloquée et paraît incompréhensible, parfois même à ceux qui y sont nés. Voilà pourquoi il nous paraît nécessaire d’actualiser la définition officielle du mot créole…
L’un des problèmes majeurs auquel est confrontée notre société antillaise est celui du lien symbolique qui permet des relations apaisées entre ses membres. Ce problème, constitutif de la structuration de notre société postcoloniale, encore souffrante de la dimension traumatique de l’esclavage, est, sans doute aussi, celui de bien des sociétés contemporaines aux prises avec les conséquences résiduelles de l’absence d’un pacte symbolique, fondement d’un lien social apaisé : (flambées des passages à l’acte, des violences, toxicomanie, etc…), il n’en est pas moins déterminant, vital, dans notre situation antillaise.
De là l’importance de l’opération de la nomination, nécessaire aux humains pour qu’ils arrivent à « faire société », quelles que soient leur couleur de peau, leur religion, leur origine sociale…
À la recherche d’un art du vivre-ensemble rassembleur et fédérateur de nos différences, l’Association « Tous Créoles ! » se fait aujourd’hui porte-parole d’un projet qui ambitionne de contribuer à faire évoluer, dans un proche avenir, la définition du terme « créole », afin de la rendre plus conforme aux réalités du XXI° siècle
Ainsi, d’une façon générale, la signification du mot créole a évolué de : « personne d’origine européenne née dans les colonies » à : « toute personne née dans les territoires des anciennes colonies européennes de l’océan atlantique et de l’océan indien ».
C’est donc la mobilité sémantique du mot qui est significative. Or c’est de l’usager qu’elle dépend ; c’est nous qui le chargeons de sens nouveau, évolutif. On sait que « le mouvement est une métaphore de la vie et que ce qui est symétrique est stérile et immobile ; c’est la dissymétrie qui est condition de vie, dans l’ordre biologique comme dans l’ordre symbolique ». (Roland BARTHES).
C’est aussi le sens de l’invitation du professeur Jean BERNABÉ quand, redoutant une conception essentialiste de nos définitions, il précise : « Aujourd’hui, les échanges entre les peuples, opérant au niveau planétaire, sont de nature à produire une créolisation généralisée qui donne tout son sens à une créolité conçue, non pas comme une essence intangible, mais comme une propriété de l’esprit humain favorisant l’échange et le partage entre les groupes humains; et ce, sur le fondement ni de la généalogie ni du déni du passé, mais de la volonté de construire une histoire commune sur des bases nouvelles qui font qu’on ne naît pas créole, mais qu’on le devient. La créolité est un engagement. Elle se veut ouverture et non pas fermeture… ».
Voici donc de manière très concrète, la définition que nous proposons de porter désormais aux dictionnaires français :
Créole – Nom masculin ou féminin
Peuple issu des mélanges anthropologiques, culturels et sociologiques provoqués par la colonisation européenne, agrégés principalement entre des populations venant d’Afrique et d’Europe, avec des apports de la Caraïbe, de l’Inde, de la Chine et du Levant ; peuples qui se reconnaissent aujourd’hui comme tels principalement dans les Caraïbes, l’Océan Indien et le sud des États-Unis.
Personne issue d’un peuple créole, qui se reconnaît dans la créolité.
Étymologie :
esp. criollo, issu lui-même du portugais « crioulo », métis, Noir né au Brésil, serviteur qui est dans une maison depuis son enfance, racine criar, nourrir, élever, lui-même issu du latin creare.
Linguistique :
Le créole, un créole. Mot apparu en 1668, pour désigner un créole portugais d’Afrique. Attesté au XIXe. n. m. (1866, Larousse), Système linguistique mixte provenant du contact du français, de l’espagnol, du portugais, de l’anglais ou du néerlandais avec des langues africaines indigènes ou importées (Antilles) et devenu langue maternelle d’une communauté (opposé à pidgin* et à sabir* qui ne sont pas des langues maternelles).