17 décembre 2001, Aimé Césaire et « l’arbre de la Fraternité »
André-Marc Belvon
Vendredi 24 décembre 2021
Jeudi 19 décembre 2013. « C’est en héritier politique que Serge Letchimy (au centre), le président du Conseil régional, se plaçait, mais aussi porteur d’un message allant au-delà de la sphère politique ». – DR
Il y a 20 ans, le 17 décembre 2001, Aimé Césaire plantait, à l’habitation Clément, à l’invitation de Bernard Hayot, un courbaril, dont il rappelait la symbolique : « Le courbaril, la démarche lente, mais résolue vers l’avenir ». 12 ans plus tard, le mardi 17 décembre 2013, Bernard Hayot et Serge Letchimy rappelaient le sens de cet acte et les leçons à en tirer.
« Monsieur Aimé Césaire est le plus illustre des Martiniquais. Il fait partie de notre patrimoine. L’habitation Clément se veut également être la mémoire de notre histoire. Les deux appartiennent donc à la Martinique et nous souhaitions depuis très longtemps qu’une action fût menée en vue d’avoir un souvenir de M. Aimé Césaire » confiait à nos confrères dans l’édition de France-Antilles du mercredi 19 décembre 2001, Bernard Hayot , Président Directeur Général du groupe éponyme (GBH), propriétaire de l’habitation Clément, Domaine de l’Acajou depuis 1986.
C’était à l’issue d’une cérémonie très simple et volontairement intimiste, comme l’a voulu Aimé Césaire. Elle s’est déroulée le lundi 17 décembre 2001, dans la matinée, en présence du député Camille Darsières, du maire du François Maurice Antiste, de Bernard Hayot, de son fils Stéphane, et d’Eric de Lucy, directeur de GBH.
A l’invitation de Bernard Hayot, très symboliquement, Aimé Césaire a mis en terre un courbaril, «un des plus beaux arbres de la Martinique, en voie de disparition. » Lors d’une brève intervention, l’homme de lettres, l’ex-député-maire de Fort-de-France, figure emblématique internationalement reconnue, donnait tout le sens à l’acte qu’il venait d’accomplir et la raison pour laquelle il l’a accepté. « Importance réelle, économique sans doute. Importance sociale mais, à mes yeux, plus encore, importance symbolique (…). Le courbaril, c’est-à-dire, l’enracinement dans le roc s’il le faut, mais vainqueur grâce à l’entêtement et au vouloir vivre, ajoutait Aimé Césaire. Le courbaril, l’appui sur la profondeur du sol pour l’élan médité et patient vers le haut. Le courbaril, la démarche lente, mais résolue vers l’avenir. Ce sont toutes ces valeurs que nous rappelle la cérémonie que vous avez organisée ce matin. Ce qui est valable pour l’arbre est valable pour l’homme. Merci de le rappeler à notre communauté, elle aussi en péril ».
Décembre 2013: un rappel
A l’aune de cette brève cérémonie, on n’en aura pas su davantage sur les coulisses et sur les ressentis des uns et des autres. C’est 12 ans plus tard, le mardi 17 décembre 2013, lors d’une manifestation cette fois d’envergure à l’habitation Clément, en présence d’une centaine d’invités, que Bernard Hayot en dira, publiquement, beaucoup plus. Celui-ci a voulu marquer l’anniversaire de la mise en terre de l’ «arbre de la Fraternité» par l’illustre Martiniquais, décédé 5 ans plus tôt, le 17 avril 2008.
Entretemps, il y a eu la levée de boucliers de toutes parts des indignés suite aux propos tenus par Alain Huygues-Despointes dans une émission de Canal+, «Les derniers maîtres de la Martinique», diffusée le vendredi 6 février 2009 aux Antilles-Guyane, une semaine plus tôt dans l’Hexagone, piratée sur Internet depuis.
Entretemps, il y a aussi eu cette première : la célébration le dimanche 21 mai 2006 du 158ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage organisée place Abbé-Grégoire aux Terres-Sainville par la municipalité foyalaise, en présence d’une délégation de la communauté béké, «une première étape vers »la fraternité retrouvée » que Césaire appelait de ses voeux» soulignait-on lors de la commémoration. Enfin, en 2007, l’association «Tous créoles» était fondée à l’initiative de Roger de Jaham et de Gérard Dorwling-Carter «dans le but d’œuvrer à l’unité des peuples créoles en faisant de leurs différences une œuvre collective» comme elle le rappelle à ce jour sur son site internet.
«Je suis fier qu’il ait accepté»
Notre confrère Gabriel Gallion était présent à l’habitation Clément le mardi 17 décembre 2013. Il témoigne dans l’édition de France-Antilles du jeudi 19 décembre 2013 : «C’est au pied du courbaril planté il y a 12 ans que Bernard Hayot accueillait, mardi, Serge Letchimy, président du Conseil régional, ainsi que Maurice Antiste, sénateur-maire du François. « C’est un honneur pour moi de vous accueillir ce soir au pied du Courbaril » déclarait-il en préambule. Moment d’émotion, chacun mesurant la portée symbolique de sa présence au pied de l’arbre. Bernard Hayot et Serge Letchimy prenaient la mesure du moment. Et c’est par une confidence que l’hôte poursuit son discours. « C’est assez tardivement que j’ai fait la connaissance d’Aimé Césaire. Qui a rencontré Césaire est tombé sous le charme… ». Et sous le charme, Bernad Hayot le sera, avouera t-il, tant par l’humanisme dégagé par le poète que par « cette gentillesse naturelle qui émanait de lui qui m’a le plus séduit ». Le charme aura opéré bien longtemps entre eux, chacun ayant la volonté de dépasser les apparences, les blessures et le passé. « De tout cela, je me suis ouvert à Aimé Césaire » confira t-il.
«Ainsi, l’idée de planter un courbaril a l’habitation Clément est-elle née en 2001, ajoute Bernard Hayot. Je suis fier d’avoir pris l’initiative d’inviter Aimé Césaire à planter ce courbaril il y a 12 ans. Je suis fier qu’il ait accepté ».
« Césaire avait eu le courage d’accepter »
« 12 ans plus tard, Serge Letchimy souligne, relate encore notre confrère Gabriel Gallion: »Vous avez eu le courage de l’inviter, Césaire avait eu le courage d’accepter« . Il vous avait fait confiance. ». Et c’est en héritier politique que le président du Conseil régional se place, mais aussi porteur d’un message allant au-delà de la sphère politique. « En plantant le courbaril dans cette terre gorgée d’histoire, Aimé Césaire plantait les probables racines d’une conquête, celle de la fraternité, en fait, celle de la solidarité pour un mieux développement ».(…) Quant au choix du courbaril par le poète, ce sont deux jeunes femmes, Jessie Claude et Camille Hayot (petite-fille de Bernard) qui livreront l’explication en lisant le texte alors écrit par Aimé Césaire. Un texte, rappela Bernard Hayot, que Césaire a tenu à lire avant de prendre pelle et pioche. « Je me souviens de son air heureux en sortant de sa poche le texte qu’il a tenu à lire (…). On est, je crois au coeur du message que Césaire voulait envoyer aux Martiniquais ».
Mais ce message doit être traduit clairement. C’est sur ce sentier de lecture que Serge Letchimy allait s’engager, tout en rappelant combien Aimé Césaire savait la force des symboles. « Cet arbre a été planté sur une ligne de fracture : celle d’une douleur fondatrice (…) Césaire considérait qu’on ne pouvait la passer sous silence. Il considérait qu’il fallait planter sur cette ligne de douleur. Planter nullement l’arbre du renoncement, de l’oubli ou du pardon aveugle. Mais véritablement l’arbre de la solidarité : de la très humaine et très indispensable solidarité ! »
Une solidarité revendiquée par les deux orateurs de cette soirée qui restera dans les mémoires des participants. « Devant cet arbre porteur de symboles, (…) je crois bien que nous vivons ce soir un autre moment historique », déclarait Bernard Hayot.
« C’est à l’élévation d’une conscience collective que nous invite Aimé Césaire à travers le symbole de l’Hymeneae Courbaril », répondait Serge Letchimy.
Tous les regards convergèrent alors en direction du courbaril qui, éclairé par une lumière bleutée, semblait brusquement être un géant.
« Aimé Césaire savait la force des symboles. Cet arbre a été planté sur une ligne de fracture: celle d’une douleur fondatrice (…) ». – DR
Aimé Césaire : « Ce qui est valable pour l’arbre est valable pour l’homme… » – DR
21 mai 2006, place Abbé Grégoire à Fort-de-France. Etait présente la députée Christiane Taubira, à l’initiative de la loi instituant l’esclavage « crime contre l’humanité ». – DR
21 mai 2006, place Abbé Grégoire à Fort-de-France. Au centre, le préfet Yves Dassonville. – DR