TOUS CREOLES : CAFE LITTERAIRE.
« ENTRETIENS AVEC AIME CESAIRE » de Marie-Josée ALIE
Marie-Josée ALIE ?
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Mesdames,
Messieurs,
Chère Marie-Josée,
Vous seriez en droit de vous demander s’il était bien nécessaire que je sois là.
Est-il en effet besoin de présenter Marie-Josée ALIE ?
Tout le monde sait qu’elle a été une journaliste emblématique de l’ORTF et de France TELEVISION.
Tout le monde sait que Marie-Josée ALIE a composé et interprété le célébrissime « Caressé mwen ».
Aujourd’hui elle publie « Entretiens avec Aimé CESAIRE ». Il aurait été très simple de lui passer tout de suite la parole pour qu’elle nous parle de son livre.
Si je suis là, c’est parce que Marie-Josée ALIE est un peu plus complexe que ce que l’on sait d’elle habituellement et qu’elle a trop d’humilité pour parler d’elle-même.
Permettez-moi, en quelques mots, de vous parler : de la journaliste, de l’auteur- compositeur-interprète et de la femme de lettres.
La journaliste d’abord,
Dès la fin de ses études secondaires, Marie-Josée ALIE entreprend des études de journalisme et, en 1974, elle sort diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme.
Elle est immédiatement embauchée à l’ORTF, mais en tant que pigiste.
Malgré son diplôme, elle doit passer un examen pour bénéficier du statut de l’ORTF.
Marie-Josée ALIE va ensuite franchir toutes les étapes.
Signalons qu’elle est la première femme rédactrice en chef à RFO MARTINIQUE puis la première femme directrice régionale et, enfin, la première femme à être directrice de programmes chargée de la diversité pour toutes les chaines du groupe FRANCE TELEVISION.
Ce parcours d’excellence va conduire Marie-Josée ALIE à pratiquer tous les genres : de la présentation du journal télévisé à la réalisation de documentaires, de grand reporter à responsable d’émission et j’en passe.
La 4ème couverture du livre « Entretiens avec Aimé CESAIRE » indique que Marie-Josée ALIE quitte le groupe de France TELEVISION pour se consacrer à ses deux autres passions : la musique et la littérature.
La musique.
Il n’est pas exagéré de dire que Marie-Josée ALIE baigne dans la musique depuis sa conception !
Sa mère est en effet une musicienne accomplie, qui a suivi les cours du conservatoire et qui enseigne le piano.
La musique est la compagne de Marie-Josée.
Pendant ses études de journalisme, Marie-Josée intègre un groupe qui joue dans le métro avec lequel elle écrit et compose.
Quand elle est journaliste à l’ORTF Bourgogne, Marie-Josée compose, pour se réchauffer dit-elle, « Caressé moin ».
Chanté avec MALAVOI, il deviendra le titre que tout le monde connait.
Marie-Josée ne s’arrêtera plus de composer, de jouer (guitare, piano) et de chanter.
Sans mentionner les singles, signalons ses albums : 1989 : Gaoulé, 1999 : Zambouya, 2016 : Elles et elle (avec ses filles Frédérique et Sohée) et en 2020, Madanm.
Marie-Josée compose en créole, en français, en anglais.
Parolière, compositrice, interprète, elle aborde tous les thèmes comme, dans le dernier, la place des femmes, les violences conjugales, l’attentat du Bataclan.
« La musique [nous dit Marie-Josée] c’est une communication sans frein. Sans filtre plutôt, de ton âme à l’autre ».
Journaliste, auteur-compositeur-interprète, cela n’a pas suffi à Marie-Josée.
Elle est aussi femme de lettres.
Il est vrai qu’à 16 ans, Marie-Josée affirmait que « La lecture et l’écriture[sont] l’expression la plus aboutie de la démocratie ».
Elle ajoutera plus tard : « J’ai toujours eu envie d’écrire. J’ai toujours pensé que c’était le nec plus ultra de mes désirs et de mon parcours ».
Depuis toute petite – c’est elle qui le dit, à la page 28 – elle tient un cahier dans lequel elle écrit poèmes et réflexions.
Il lui sera très utile au cours de ses entretiens avec Aimé CESAIRE : lisez l’ouvrage et vous découvrirez comment !
En 2009, Marie-Josée ALIE publie : « Elle et elle : entre chienne et louve » en collaboration avec sa fille Frédérique qui réalise les peintures qui illustrent l’ouvrage.
En 2016, c’est la sortie de son premier roman « Le convoi », véritable fresque romanesque aux multiples personnages.
Ce livre est récompensé par le prix « Ivoire » en 2016.
En 2020 paraît « Une semaine et un jour », fascinant dialogue entre deux femmes qui ont vécu à des époques différentes.
Enfin, le dernier né, « Entretiens avec Aimé CESAIRE ».
Il me semble que, avec cet ouvrage, Marie-Josée ALIE a fait la synthèse de ses trois compétences et réalise ainsi une véritable alchimie.
C’est son travail de journaliste qui sert de terreau à l’ouvrage.
C’est son talent de femme de lettres qui a su donner une construction romanesque à l’ouvrage.
C’est son oreille de musicienne qui a su trouver la musique des mots.
De 1983 à 2007, Marie-Josée ALIE a interviewé Aimé CESAIRE, réalisé des documentaires sur Aimé CESAIRE, eu des entretiens avec Aimé CESAIRE.
Dès son avant propos, p.7, Marie-Josée ALIE prévient :
« CESAIRE est sans doute celui que j’ai suivi, poursuivi avec le plus d’opiniâtreté, de curiosité et d’appétit.
Il fait partie de ces êtres d’exception dont chaque mot enrichit d’un supplément d’espace et vous met à l’arrêt du galop de votre vie ».
Au fil des pages, nous revivons le parcours d’Aimé CESAIRE, personnel, politique et littéraire, de son arrivée à Paris comme étudiant à la passation de l’écharpe de maire de Fort-de-France et à « l’après ».
En un aller-retour entre passé et présent, Marie-Josée ALIE nous permet de mieux appréhender l’homme Aimé CESAIRE.
La tâche de journaliste de Marie-Josée ALIE n’a pas toujours été facile.
Ecoutons là, page 107, :
« Je n’aime pas la télévision parce que je pense que les questions sont superflues – à vrai dire j’entends « superficielles » – et les réponses risquent d’être superficielles – pourquoi j’entends « superflues » ? – Parce que j’ai tout dit par ma poésie.
Sans le sourire en coin qui ouvre son visage, j’aurais peut-être plié bagage. Un homme qui vous dit que les questions sont « superflues » alors que vous l’interviewez vous envoie à une autre approche de votre métier. Je sens qu’il faut que je réfléchisse à la manière nouvelle d’aborder cette rencontre, et je décide dans la foulée que se jeter à l’eau sans calcul autre que celui de faire mon métier le mieux possible est la meilleure façon d’aller au bout du chemin ».
La lecture de « Entretiens avec Aimé CESAIRE » a ceci de particulier – de magique ? – que l’on a l’impression qu’Aimé CESAIRE est toujours présent, que nous allons retrouver son regard malicieux, sa voix qui zozote un peu, ses silences, les gestes de ses mains que Marie-Josée décrit, p. 30 « longues, fines, noires, belles qui parlent avant lui ».
Marie-Josée ALIE nous restitue les convictions et les indignations d’Aimé CESAIRE, les doutes et les incertitudes d’Aimé CESAIRE.
Et, à lire Marie-Josée, on entend CESAIRE nous interpeller : p.80 :
« Au fond nous Antillais, nous sommes les miraculés de l’histoire. Car si les mathématiques étaient mathématiquement vraies, eh bien nous aurions déjà dû avoir disparu, or nous n’avons pas disparu. Nous avons connu la traite, l’esclavage, le préjugé de couleur, le crachat à la face, et nous avons survécu à tout cela. A partir de ce naufrage, nous avons recomposé quelque chose, nous avons rebâti un peuple. Mais au-delà de la survie, il faut avec nos peuples que nous inventions l’avenir ! Sur quelle base ? Nous devons puiser en nous-mêmes des raisons qui ne soient ni la guerre, ni la consommation, des raisons d’espérer. C’est à nous d’inventer notre futur ».
Si Marie-Josée ALIE est arrivée à l’alchimie que j’ai mentionnée plus tôt, c’est qu’en plus de ses trois compétences, journaliste, femme de lettres, musicienne, elle a mis dans cet ouvrage une part d’elle-même.
Ses mots, chargés de respect, de tendresse filiale et d’une certaine mélancolie vous touchent au cœur.
La p.124 l’atteste :
« Et j’ai enfermé dans une bulle le souvenir particulier de l’une de nos promenades dans le Nord.
Je revois sa marche vers l’océan démonté, la plage n’est pas hostile, elle est juste brutale, sans fioriture de carte postale. Les mains croisées derrière le dos, il me convainc sans parler que la vérité de mon pays est là…
Grande, immense, comme la beauté brute d’un bout d’espace que les siècles n’auront pas entamée suffisamment pour que nous oubliions qui nous sommes.
Cette promenade tranquille où seules nos solitudes pouvaient converser a ancré mon pays au plus profond de moi.
C’est le silence de Césaire qui a été le plus bavard de nos échanges, et sans doute ce que nous avons le mieux partagé ».
Merci Marie-Josée.
Lamentin le 17 juin 2021
Danielle MARCELINE