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L'esclavage au nom de l'économie

« Sans traite négrière, pas de colonisation ! L’Europe a déraciné près de 13 millions de personnes, pour les mettre au service de son expansion mondiale. La France est l’une des premières nations à avoir reconnu sa participation ».
Ainsi commence l’article court mais très exhaustif d’Alain LÉAUTHIER sur l’esclavage, publié le 17 novembre dernier par l’hebdomadaire « Marianne ». Nous vous proposons de lire ci-après l’intégralité de ce texte.
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Combien le savent ? Depuis l’adoption en 2001 de la loi dite «Taubira», le 10 mai en France est journée de commémoration de «la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions». Par cette loi mémorielle, la France reconnaissait la traite dite «atlantique», tout comme les travaux qu’y consacre l’Unesco depuis 1994. Qualifiée aussi d’«occidentale», elle fut longtemps tenue pour la plus intense, la plus «barbare» et la plus destructrice pour le continent noir.

Commencée par les Portugais en 1441, et «validée» par l’Eglise sous forme d’une bulle papale, elle a impliqué plusieurs pays, notamment la Hollande, l’Angleterre ou le Danemark, et a pris son véritable essor avec le boom économique et commercial de l’Europe du XVe siècle. A ce moment de la Renaissance, l’horizon du continent européen s’élargit grâce à des expéditions maritimes lointaines qui traduisent autant une vision du monde que la volonté de s’en emparer.
L’Europe s’engage dans les grandes découvertes, mais, pour les mener à bien et exploiter les terres conquises, il faut des bras. On importera donc des Noirs d’Afrique, corvéables et malléables à merci. La traite atlantique prend vraiment son rythme de croisière au XVIIe siècle et invente un modèle économique, le commerce triangulaire, d’une redoutable efficacité : partis d’Europe vers les côtes africaines, les cales bourrées de cotonnades, de tissus, d’alcool et d’armes, de verroterie, les navires négriers échangent leurs marchandises contre des captifs et repartent vers les territoires du Nouveau Monde (les Amériques, dont les Caraïbes), où ils les échangent contre des produits tropicaux et des matières premières diverses avant de revenir à leurs ports d’attache.Pour l’historien trinidadien Eric Williams, auteur de Capitalisme et esclavage*, le commerce triangulaire a permis une sorte d’accumulation primitive du capital qui a financé la révolution industrielle. En particulier en Angleterre. Pas de capitalisme sans esclavage ? Le sujet fait débat, tout comme l’importance du rôle des Africains eux-mêmes dans l’organisation de la traite atlantique. Pudiquement occulté dans le passé, il a été mis en évidence depuis quelques années grâce au travail de nombreux historiens, comme le Français Olivier Pétré-Grenouilleau mais aussi nombre de ses confrères originaires d’Afrique.

ASSERVIS DE NAISSANCE

Et la France ? Si Louis XIII a accordé l’autorisation de déporter des esclaves dans une colonie française (Martinique, Guadeloupe, Grenadines, Saint-Domingue, etc.) dès 1626, elle n’est devenue un acteur majeur du commerce triangulaire que trois décennies plus tard, lorsque, échaudés par la chute du prix du tabac, les colons se sont tournés vers la culture de la canne à sucre. Plus de 3 000 expéditions feront la fortune de quelques centaines de familles mais aussi de plusieurs ports, Nantes, Bordeaux ou La Rochelle. Entre 1676 et 1800, la France aurait déporté aux seules Antilles 1 million d’esclaves, régis par le Code noir, spécificité française, qui en fait des «meubles», transmis par héritage.Malgré l’embarras de quelques Encyclopédistes des Lumières, ce n’est qu’avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que l’esclavage sera formellement aboli. Bonaparte le rétablira et ses généraux réprimeront durement les révoltes croissantes des Noirs et des mulâtres. Le motif de cette répression sans pitié ? Avant tout économique, le coût de l’abolition étant jugé inacceptable par les planteurs. Il faudra attendre le 27 avril 1848 pour que le gouvernement provisoire de la IIe République, issu de la révolution de février 1848 et inspiré par Victor Schœl-cher, promulgue le décret mettant un terme définitif à l’esclavage et à la traite.
Selon Olivier Pétré-Grenouilleau, les Européens auront, au total, déporté entre 11 et 13 millions de personnes, chiffres légèrement inférieurs aux 17 millions environ de personnes déportées par les empires arabes qui ont alimenté pendant des siècles les marchés aux esclaves de toute la Méditerranée et de leurs possessions en Europe. Des centaines de milliers de chrétiens capturés dans le sud de l’Europe ont aussi été réduits en esclavage dans les villes d’Alger, Tripoli ou Tunis entre le XVe et le XIXe siècle.Tout comme des milliers d’esclaves noirs étaient aussi présents dans de nombreuses contrées de la Chine du Sud sous la dynastie des Song (960-1279). Et il ne faut pas oublier la traite organisée à l’intérieur même du continent noir et depuis des temps immémoriaux. Asservis de naissance, prisonniers des guerres tribales, enfants abandonnés, criminels, étaient vendus entre peuples ou aux Européens et aux Arabes. Malgré l’engagement des gouvernements concernés de l’éradiquer, l’esclavage a encore cours aujourd’hui dans plusieurs pays de la bande sahélienne, voire dans certains Etats d’Afrique centrale.L’esclavage fut un crime universel qui a marqué l’histoire de l’humanité depuis les origines et il y a, sur presque tous les continents, matière à édifier les consciences. Quoi qu’en disent certaines associations, la France est un des tout premiers pays à s’y être employés.* Présence africaine, 2000.
** Article publié dans le numéro 813 du magazine Marianne paru le 17 novembre 2012

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