La Comédie créole
« La figure du Franc-maçon fait partie de la « Comédie créole« . Cette affirmation de l’écrivain Raphaël CONFIANT se retrouve dans l’interview qu’il a donnée récemment à Éric HERSILIE-HÉLOÏSE, chef de centre du magazine « France-Antilles » à propos de la sortie de son dernier roman(*). L’intérêt que nous lui portons est double : tout d’abord, la grande fresque créole ou « comédie » créole que l’auteur réalise à travers ses différents romans, chacun évoquant une des facettes de la mosaïque créole ; ensuite, sa notion des « Créoles, noirs, mulâtres, békés, indiens etc. », qui renforce singulièrement notre démarche dite « Réflexion créole » ( http://www.touscreoles.fr/2011/03/01/le-creole-n%E2%80%99est-pas-une-race-2/).
Lire ci-après cette interview.
Éric HERSILIE-HÉLOÏSE : Lors d’un précédent entretien, vous avez déclaré vouloir tel BALZAC avec sa « Comédie humaine », écrire la « Comédie créole ». Les Francs-maçons entrent-ils dans cette galerie de portraits constitutifs de la société créole ?
Raphaël CONFIANT : Tout à fait ! La franc-maçonnerie est une vieille institution aux Antilles, d’abord chez les Blancs créoles, puis dans la classe mulâtre après l’abolition, notamment dans le Saint-Pierre d’avant la catastrophe. Puis, au XXe siècle, toutes les couches sociales y ont eu accès, du moins les élites de chacune d’elles. Donc la figure du franc-maçon, bien que mystérieuse aux yeux du grand public et souvent connotée négativement, fait partie de la « Comédie créole ».
Quel est selon vous, le poids de la maçonnerie dans la société profane martiniquaise ?
Il ne peut pas être négligeable car l’appartenance à la maçonnerie transcende certains clivages, notamment politiques. On voit, par exemple, se mettre en place des connivences, sur telle ou telle affaire ponctuelle, entre des individus diamétralement opposés au plan politique. Mais il ne faut pas non plus exagérer le poids de la maçonnerie. Des tas de trajectoires s’effectuent complètement en dehors d’elle, notamment chez les écrivains, ce qui est, par exemple, mon cas.
Pensez-vous qu’il y ait une spécificité maçonnique créole ; l’éloignement des centres de décisions occidentaux et les poids conjoints de nos histoires et cultures, feraient que le même rituel se déclinerait différemment des deux côtés de l’Atlantique ?
Je ne connais pas la maçonnerie antillaise de l’intérieur et ne peux répondre avec précision à cette question. Tout ce que je peux dire c’est que tout élément culturel importé de l’extérieur, quel qu’il soit, subit le poids de la culture créole. Nos francs-maçons sont des Créoles, noirs, mulâtres, békés, indiens etc., ils vivent en milieu créole et il est impossible que ce milieu n’exerce pas son empreinte sur les rituels ou le fonctionnement des loges. D’autant que nous avons une trajectoire historique très différente de celle de l’Europe et que notamment, nos oppositions raciales ou ethniques interfèrent forcément dans des manières de penser, dans une idéologie, une vision du monde, celle de la maçonnerie, qui est censée être au-dessus de tout cela.
Propos recueillis par Éric HERSILIE-HÉLOÏSE et précédemment publiés dans le quotidien « France-Antilles » du 29/02/2012
* « Du rififi chez les fils de la veuve » – 218 p, édité par Caraïbeditions, collection Polar www.caraibeditions.fr