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Emmanuel de Reynal répond à Bernard Abdoul-Maninroudine

Conseiller municipal de l’opposition à Petit-Bourg à Basse-Terre, Bernard AbdoulManinroudine a interpelé Emmanuel de Reynal sur TikTok suite à un courrier que ce dernier avait adressé au journal Le Monde à propos d’une vidéo sur les békés.

Voici la réponse d’Emmanuel de Reynal :

Bonjour M. Bernard ABDOUL MANINROUDINE,

C’est avec émotion que j’ai écouté le message vidéo que vous m’avez adressé. J’y perçois beaucoup de souffrance. Sans doute sont-elles justifiées par les tristes expériences personnelles que vous avez vécues.

J’y perçois aussi – mais c’est normal – quelques amalgames issus de l’odieuse histoire de l’esclavage dont nous héritons tous. L’histoire d’un crime contre l’humanité qui a associé de nombreux complices : vendeurs africains, marchands européens, exploitants créoles. L’histoire d’un crime universel qui a enrichi l’Europe entière, et qui a indemnisé les possesseurs d’esclaves, qu’ils soient blancs ou noirs, et à travers eux les créanciers de la façade maritime française – Nantes, Bordeaux, La Rochelle… – qui furent en réalité les principaux bénéficiaires de ces indemnisations de 1848.

Parmi les clichés (souvent véhiculés), celui selon lequel les békés descendent TOUS de colons esclavagistes. La vérité est bien plus nuancée. Outre ceux qui n’ont jamais possédés d’esclaves, et ceux qui – considérant à juste titre le système inhumain – ont affranchi leurs esclaves bien avant 1848, nombreux sont les békés d’aujourd’hui dont les ancêtres sont arrivés sur l’île APRES l’abolition de l’esclavage.

Autre cliché : seuls les békés auraient été indemnisés. C’est passer sous silence les 30% d’esclavagistes libres de couleur (mulâtres et noirs) qui ont également perçu l’indemnisation de 1848. Une simple consultation de la base Repairs du CNRS vous éclairera sur la réalité des bénéficiaires. Vous apprendrez par ailleurs que contrairement aux idées reçues, cet argent n’a pas empêché la quasi-totalité des exploitants créoles des Antilles de faire faillite. Et pour cause : le décret d’indemnisation prévoyait que les créanciers Français puissent saisir directement les sommes allouées, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire. Une grande partie de l’argent est retournée en France, et en particulier dans les villes « marchandes » de la façade maritime.

Bien sûr, des familles locales ont été indemnisées. C’est le cas de mon aïeul qui a perçu la somme de 260 Francs (équivalent 700 € d’aujourd’hui) ; j’ai eu cette information en consultant la base Repairs, tout comme j’y ai appris qu’il possédait à cette période « entre 0 et 1 esclave » (SIC). Vous le savez comme moi, l’histoire est complexe, et mérite d’être abordée avec nuance. Les crimes qu’elle recèle, si odieux fussent-ils, n’engagent pas la responsabilité des descendants. Pour ma part, bien que l’on s’obstine souvent à me réduire à ma seule condition de béké, je vous affirme très clairement : moi, Emmanuel de Reynal, je n’ai hérité de rien et je ne suis coupable de rien. Je suis conscient du passé, et je conduis ma vie présente du mieux que je peux dans l’ouverture, le dialogue et la construction. Je ne suis responsable que de mes actes, tout comme vous.

Je dois vous avouer que votre message m’a touché au cœur. Quand vous m’interpellez en disant « vous », je veux croire que c’est à moi que vous vous adressez et non à la représentation sociale que vous vous faites de moi. Car il me semble que l’un des immenses problèmes que nous devons résoudre ensemble est d’effacer nos étiquettes socio-ethniques pour nous atteindre enfin de personne à personne. C’est pourquoi je me méfie tant de l’usage de l’article défini pluriel « LES » devant un substantif qualifiant un groupe d’individus : LES Blancs, LES Noirs, LES Juifs, LES Arabes, LES Békés… Cet article est dangereux, car il essentialise et nie la réalité complexe des personnes. Il est l’antichambre du racisme.

Je suis celui qui a écrit « Ubuntu » en 2020, un texte que m’ont inspiré Nelson Mandela et Desmond Tutu, deux admirables concepteurs des Commissions Vérité et Réconciliation. Je suis aussi celui qui a coécrit « Dialogue Improbable entre un afro-descendant et un béké » avec Steve Fola-Gadet. C’est dire si votre invitation à partager un punch avec vous me plait. J’éprouverai tant de plaisir à vous faire apprécier celui de Martinique. Votre jour sera le mien.

Très respectueusement,

Emmanuel de Reynal

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