Discours de M. le Président du Sénat à l’occasion de l’ouverture du colloque Gaston Monnerville
Jeudi 7 octobre 2021 à 14h30 – Palais du Luxembourg
Monsieur le Président de la Société des Amis de Gaston Monnerville, cher Président Georges Patient>,
Monsieur le Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Stéphane Artano,
Monsieur le Vice-Président du Sénat, cher Pierre Laurent,
Messieurs les Présidents de groupe, cher Président Jean-Claude Requier, cher Président Guillaume Gontard,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d’être parmi vous et de participer <à cette table ronde consacrée à l’héritage de Gaston Monnerville à l’initiative de la Délégation sénatoriale aux outre-mer et de la Société des amis de Gaston Monnerville>. Cet évènement s’inscrit dans les commémorations qui ont lieu, ou vont avoir lieu, qu’il s’agisse de l’exposition dans le jardin du Luxembourg sous le préau Saint-Michel, des journées du patrimoine, de la nuit du droit ou du colloque organisé par la Délégation lors du Congrès des Maires.
Je remercie Stéphane Artano, Georges Patient, Jean-Claude Requier et Angèle Préville qui se sont particulièrement impliqués dans leur préparation.
C’est donc à moi, qui ai puisé mes valeurs dans le gaullisme, qu’il revient de débuter <cet hommage à Gaston Monnerville>. Le temps cicatrise les blessures qui ont marqué notre histoire politique et je veux dire combien j’ai de l’admiration pour celui qui fut l’un de mes glorieux prédécesseurs.
<Trente ans après sa disparition, Gaston Monnerville continue à incarner l’engagement, l’audace, l’indépendance et le courage au service de l’idéal républicain>.
Homme de combat, il a lutté pour la justice et la liberté.
<Monnerville, l’avocat, le résistant, l’élu de la Guyane et du Lot, le ministre, le membre du Conseil constitutionnel>est l’un de ces grands hommes qui ont contribué au prestige de la France.
Homme d’État, il a su, à chaque étape de sa vie, atteindre les plus hautes fonctions notamment en devenant Président du Conseil de la République puis Président du Sénat.
Ses luttes ont traduit sa vision politique, celle de la liberté et son idéal, la défense des droits de l’homme et de la démocratie parlementaire.
<Gaston Monnerville> a été un visionnaire qui a promu, bien avant leur constitutionnalisation, les principes d’indivisibilité et de laïcité de la République ainsi que son caractère démocratique et social.
Sans jamais renier ses origines guyanaises modestes, il a dépassé les frontières invisibles des préjugés sociaux, raciaux, politiques et culturels.
Celui qui est né à Cayenne, d’un père fonctionnaire de l’administration coloniale et d’une mère couturière, ce petit-fils d’esclaves par ses deux parents n’a jamais varié du cap qu’il s’était fixé tout au long de sa vie.
Il a œuvré pour une stricte égalité des droits des habitants de la Guyane, de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion ainsi que pour le développement économique de ces territoires. Il a en partie obtenu satisfaction lorsque ces derniers ont accédé au statut de départements d’outre-mer. Ce changement statutaire étant alors perçu par ses promoteurs comme la garantie de l’égalité civile, juridique, économique et sociale, mais aussi comme la pleine appartenance de ces territoires à la République.
<Gaston Monnerville, en 1946>, parviendra à créer un fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer et à inscrire dans la loi la suppression de la déportation en Guyane.
L’engagement était <une vocation pour Gaston Monnerville>. À plus de quarante ans, il s’engage, le 7 septembre 1939, comme « officier de Justice » dans la Marine. Démobilisé, il entre dans la résistance en adhérant au mouvement « Combat ».
<Gaston Monnerville> a, très tôt, compris que la Nation se construisait sur l’adhésion et que la démocratie se nourrissait de convictions. Il a non seulement apporté sa pierre à l’édifice national, mais il a également participé à renforcer la démocratie parlementaire en présidant un Sénat libre et indépendant.
Le 18 mars 1947, élu président du Conseil de la République, il déclarait : « Ne pas être un homme de parti, mais un arbitre impartial entre les partis.»
Il mit tout en œuvre pour augmenter les pouvoirs d’une assemblée dont la Constitution de la IVe République avait prévu qu’ils ne seraient que consultatifs, ce qu’a corrigé la réforme constitutionnelle du 7 décembre 1954, et pour consolider le prestige de la présidence du Sénat.
Il présida, le 20 mai 1949, la cérémonie de transfert au Panthéon des cendres de Victor Schœlcher et Félix Éboué, dont les cercueils avaient été veillés, la nuit précédente, au jardin du Luxembourg, lieu où il inaugura le monument des étudiants résistants et celui des patriotes exécutés sur les lieux par les nazis en 1956.
<La sagesse de Gaston Monnerville> tenait à sa vision et à son audace.
Tout au long de ces vingt-et-une années passées au plateau, il s’identifia totalement à la fonction et s’imposa comme l’une des grandes figures de la vie publique française, à la fois pour sa place au sein du groupe du rassemblement des gauches républicaines et pour sa ténacité face au Général de Gaulle.
Mais <Gaston Monnerville>, qui a approuvé la Constitution de 1958, savait aussi entretenir un dialogue avec ce dernier.
À la suite de l’insurrection militaire en Algérie, dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, un Conseil des Ministres décida l’état d’urgence, l’application de l’article 16 de notre Constitution. Le Président du Sénat, reçu à l’Élysée, déclara alors : « Il est dans la vie des nations des circonstances où, sans rien abdiquer des principes républicains, un homme d’État doit savoir consentir à la concentration momentanée des pouvoirs entre les mains d’un chef responsable, précisément si elle vise à sauvegarder la démocratie ellemême. »
Mais au début du mois de juin 1961, son attachement aux libertés le poussa à demander à être reçu par le Général. Le procès des généraux Challe et Zeller ayant pris fin, l’application de l’article 16 ne lui paraissait plus indispensable. Une attitude constante du Sénat face à l’État d’urgence quel qu’il soit…Le Général le maintint jusqu’au 30 septembre.
Ses convictions républicaines et démocratiques, son attachement au régime parlementaire, lui offrirent l’occasion de manifester avec force son indépendance en contestant la décision du Général de Gaulle en 1962, lors de la révision constitutionnelle du mode d’élection du président de la République :
Il déclara alors : « Si je me suis permis, en face de cette violation de la Constitution, en face du plébiscite, du pouvoir personnel qui s’annonçait, d’élever la voix, c’est précisément parce que je reste fidèle à cet enseignement de la France et à cet enseignement républicain ! ».
Le peuple français en décida autrement et nous savons combien l’élection du Président de la République au suffrage universel est devenue la clé de voûte de nos institutions.
Pendant sept années (1962-1969), les rapports entre l’Élysée et le Sénat ont connu des soubresauts, ce que n’arrangea pas <l’épisode de mai 68, où Gaston Monnerville> se démarqua publiquement du Général de Gaulle, à qui il reprochait « l’exercice solitaire du pouvoir », avant de se lancer dans un autre combat qui débutait alors, le projet de fusion entre le Sénat et le Conseil économique et social.
<Le 27 septembre 1968, Gaston Monnerville> déclara : « Devant la gravité de cette situation, ayant longuement réfléchi à ses conséquences, ne voulant pas laisser s’accomplir une nouvelle et grave violation de notre Constitution et démanteler le régime républicain en France, j’ai pensé que mon action serait plus efficace si j’étais libre de mes mouvements, de ma parole et de mes actes. »
Il fit activement campagne jusqu’à la victoire du non au référendum du 27 avril 1969. Il fit encore entendre sa voix dans l’hémicycle, jusqu’à ce 22 février 1974, où il en prit congé, puisque son successeur, Alain Poher, décida de le nommer au Conseil constitutionnel.
Le sénateur Henri Caillavet voyait en lui « un citoyen aux choix lucides qui avait le courage tranquille du patriote » – homme protéiforme aussi, puisque tour à tour juriste, écrivain, peintre et musicien – et donna de nombreuses conférences et écrivit plusieurs ouvrages.
Une salle du Palais du Luxembourg porte le nom de celui dont la mère, au tout début de sa vie, lui avait dit ces mots qui le marquèrent à jamais : « Va, mon fils, et tâche de bien faire ».
<Gaston Monnerville passa sa vie à « faire bien », c’est cela que nous célébrons aujourd’hui.
C’est la raison pour laquelle celui qui présida l’entrée au Panthéon de Victor Schœlcher et Félix Éboué mérite de les rejoindre aujourd’hui.
Bon colloque à vous toutes et à vous tous