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Dès que vous êtes haïtien, vous êtes reçu comme un cochon »

Jean-Michel Hauteville jm.hauteville@agmedias.fr

Publié le Jeudi 28 avril 2022 (France-Antilles. )

« Dès que vous êtes haïtien, vous êtes reçu comme un cochon »

Zacharie et Davidson font partie des milliers d’Haïtiens qui ont quitté leur pays dans l’espoir de vivre une vie meilleure en Martinique. – Jean-Michel Hauteville

Dans le nord de la Martinique, de nombreux Haïtiens travaillent dans l’agriculture. Malgré leur volonté d’intégration et leur ardeur à la tâche dans un métier difficile, ils se plaignent d’être discriminés par la population martiniquaise et harcelés par les autorités, même lorsqu’ils sont en situation régulière.

Près de trois mois se sont écoulés depuis cette descente de police, en pleine nuit, à leur domicile, mais les habitants du quartier Pointe Lamare s’en souviennent encore comme si c’était hier.

« Il était 3 heures du matin, dans la nuit du dimanche au lundi. J’ai entendu du bruit dehors, j’ai réveillé mon mari et on a ouvert la porte. C’est là qu’ils sont entrés », raconte Désirée (*), une riveraine de ce paisible hameau situé à l’entrée de la commune du Prêcheur. « Des voisins ont eu leur porte défoncée », affirme-t-elle.

Les agents de la Police aux frontières (PAF)** ont sommé Désirée et son compagnon de leur montrer leurs papiers d’identité. Le mari de cette Préchotine d’adoption est haïtien, à l’instar de nombreux résidents de Pointe Lamare et d’autres secteurs du nord de la Martinique. « La façon de faire nous a choqués », dit Désirée, encore traumatisée par cette intervention musclée en pleine nuit. « Tous les jours, je suis réveillée à 3 heures du matin », confie-t-elle. Le déroulement de l’opération est d’autant plus discutable qu’il existe des règles strictes en matière de perquisition : elles ne peuvent avoir lieu qu’entre 6 heures du matin et 21 heures. « Ils ne respectent même pas la loi, c’est inadmissible », s’indigne la Préchotine. « Ma fille est diabétique et ils ne voulaient pas la laisser boire un verre d’eau! »

« On se sent persécuté »

L’époux de Désirée est en situation régulière sur le territoire. Il vit en Martinique depuis 2009 et « attend depuis 2018 » sa carte de séjour, précise sa femme. Compte tenu de sa situation, il a le droit de travailler : il exerce le métier d’agriculteur dans les environs du Prêcheur. Ce n’est qu’après avoir vu le passeport français de Désirée que les policiers se sont enfin montrés moins effrayants.

Mais d’autres habitants ont eu moins de chance : un couple de voisins, tous deux agriculteurs haïtiens, a été emmené et placé en garde à vue pendant 48 heures. « Ils ont tous les deux leur carte de séjour », assure Désirée. Une somme d’argent a été saisie, ainsi qu’un véhicule, dont ils se servent pour livrer leurs produits agricoles sur le marché de Dillon. « Pourquoi incriminer des gens qui travaillent ? », s’interroge leur voisine.

L’agricultrice interpellée, puis libérée, n’a pas récupéré son véhicule et « se retrouve à devoir travailler deux fois plus » pour rembourser l’argent saisi, le produit de la vente des produits de plusieurs cultivateurs de ce secteur.

Depuis cette opération policière, le quotidien des habitants de Pointe Lamare a changé. « On se sent persécuté », dit Désirée, qui affirme que le hameau est fréquemment survolé par des drones de la police. « On a l’impression d’être épié constamment, dans tout ce qu’on fait », ajoute-t-elle. Pauline (*), une voisine, acquiesce. « Vous organisez une fête ou un anniversaire, la gendarmerie débarque », grommèle cette Préchotine qui, elle aussi, a épousé un Haïtien. « Il y a toujours un voisin qui nous dénonce », s’indigne cette quinquagénaire. « C’est la preuve qu’il y a beaucoup de racisme, de jalousie », dit Pauline, qui affirme que son mari a été victime de plusieurs arrestations arbitraires. « Les gens disent que les étrangers sont venus pour prendre leurs femmes antillaises, leur travail », regrette-t-elle.

« Combien de Martiniquais vont aller aux champs ? »

Un riverain se joint à la conversation. Il s’exprime en créole haïtien. « Nous sommes moins bien traités que les autres nationalités », affirme Zacharie (*). Arrivé en Martinique en janvier 2013, il multiplie depuis neuf ans les allers-retours entre le Prêcheur et la préfecture, mais n’a toujours pas obtenu son titre de séjour. « Vous allez à la préfecture. Dès que vous êtes haïtien, vous êtes reçu comme un cochon. J’ai l’impression qu’ils parlent à des chiens », s’agace Zacharie. Ce qui ne veut pas dire qu’il est en situation irrégulière, puisque ses démarches sont encore en cours. « Nou pa gen dwa travay », dit-il d’un ton las. En l’absence d’autorisation de travail, le trentenaire doit faire des « jobs » pour survivre. « Nous avons besoin d’un changement, nous avons besoin d’être libres », martèle Zacharie.

« Tout ce que nous voulons, c’est une possibilité de vivre dans ce pays », renchérit Davidson (*), un jeune demandeur d’asile arrivé en Martinique en décembre 2020. Ce charpentier de profession aimerait continuer de travailler dans la construction en Martinique. Un long parcours du combattant l’attend pour régulariser sa situation.

Désirée reprend la parole : son beau-fils est « un excellent élève », dit-elle. C’est « le premier de sa classe » de terminale dans un lycée professionnel du nord de l’île. Mais même pour ce brillant élève, arrivé en Martinique il y a quatre ans, « on a des difficultés pour avoir des papiers », se désole-t-elle. Pourtant, le garçon veut devenir kiné et rester travailler en Martinique. « Pourquoi ne pas donner des papiers à cet enfant, qui veut continuer ses études, qui essaie de s’en sortir ? », s’interroge la Préchotine.

Pauline approuve. « Mon mari travaille du lundi au dimanche », souligne cette habitante de Pointe Lamare. « Si les Haïtiens ne sont pas là pour faire ce travail difficile, combien de Martiniquais vont aller aux champs ? Combien vont faire la banane ? On peut les compter sur les doigts de la main », ironise-t-elle. « Cette histoire de racisme et de discrimination, il faut que ça s’arrête », conclut Pauline.

*Les prénoms ont été modifiés.

**La PAF n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Les Haïtiens, « une communauté qui mène une vie exemplaire »

La communauté haïtienne compte plusieurs milliers de ressortissants en Martinique. Ceux-ci sont victimes, au quotidien, d’actes xénophobes commis par « une minorité » malveillante.

Depuis deux ans, des graffitis xénophobes fleurissent, çà et là, sur les murs de Fort-de-France et dans les environs. Ceux-ci visent les Haïtiens, et surprennent par leur caractère incontestablement haineux. « On m’a interpellé sur des tags qui étaient près du centre commercial à Schœlcher », confirme Élio Joseph, président de l’association Cellules en action. L’un de ces graffitis, apparu en début d’année sur un arrêt du TCSP, proclamait : « 2022 sans les Haïtiens ». Un message qui horrifie Élio Joseph. « Est-ce que ça veut dire qu’on va procéder à la chasse aux Haïtiens ? », interroge-t-il.

Installé de longue date en Martinique, cet Haïtien naturalisé français œuvre bénévolement, depuis 16 années, pour aider les immigrés caribéens dans leur vie quotidienne, émaillée de combats, de tracas et d’humiliations. Ses compatriotes représentent le plus gros contingent des 30 à 50 personnes qu’il reçoit lors de ses permanences hebdomadaires à la Maison des syndicats, à Fort-de-France. « La communauté haïtienne est la plus vulnérable en Martinique. C’est celle qui subit le plus d’actes de discrimination, malgré sa participation dans la vie du pays », déplore Élio Joseph. « Les Haïtiens viennent pour travailler afin d’avoir une vie meilleure », souligne le président de Cellules en action. « C’est une communauté qui mène une vie exemplaire, une vie paisible » à l’exception de quelques « cas isolés », souligne-t-il. Une communauté « qui contribue énormément au développement de l’économie martiniquaise », rappelle M. Joseph.

2,5% d’immigrés en Martinique

Selon l’Insee, la Martinique comptait précisément 9 522 immigrés en 2016, pour 376 507 habitants, soit 2,5% de la population. C’est bien en-deçà de la moyenne nationale : en effet, 10,3% de la population française totale était d’origine immigrée en 2021, une part importante d’entre eux ayant acquis la nationalité française. Chez nous, les immigrés sont surreprésentés parmi les agriculteurs exploitants (6,8%), dans la catégorie des artisans, commerçants et chefs d’entreprise (5,9%) ainsi que chez les ouvriers (3,6%), selon l’étude Insee de 2016. En revanche, ils ne représentent que 2,8% des personnes sans activité professionnelle et 1% des retraités.

La forte dégradation de la situation économique et sécuritaire en Haïti a, selon Élio Joseph, provoqué « un afflux d’Haïtiens » en 2019 et 2020. Par conséquent, ceux-ci seraient actuellement environ 12 000 vivant en Martinique et enregistrés à la préfecture. Des chiffres non confirmés par les services de l’État.

Sur le marché du travail, les immigrés, et en particulier les Haïtiens, sont souvent victimes de discrimination : des cas de travail non rémunéré, un salaire trop bas, ou encore des promotions qui ne sont pas accordées en raison de l’origine haïtienne. « Ça arrive tout le temps », déplore le président de Cellules en action.

Le bénévole exprime également de nombreux griefs à l’encontre des services de l’État : l’instruction des dossiers « traîne à la préfecture », laissant les demandeurs de régularisation à la merci d’arrestations par des policiers zélés, qui bafouent leurs droits. « Dans les administrations on voit très bien la xénophobie qui vise les Haïtiens. Il faut que ça cesse », martèle Élio Joseph.

Une situation navrante, d’autant que pour les candidats à l’immigration, dans leur pays d’origine, il est « extrêmement difficile d’obtenir un visa » : celui-ci a un coût prohibitif, même pour les conjoints de citoyens français. En désespoir de cause, nombreux sont ceux et celles qui entrent sur le territoire grâce aux réseaux d’immigration clandestine, moyennant le paiement de sommes de l’ordre de 5 000 euros par personne.

Malgré toutes ces difficultés, Élio Joseph tient à souligner que « le peuple martiniquais, en général, est un peuple accueillant et solidaire. A chaque fois qu’il y a une catastrophe, les Martiniquais se montrent solidaires envers les Haïtiens et les Caribéens ». Néanmoins, ajoute-t-il, il y a « une minorité qui cherche un bouc émissaire ».

Le président de l’association Cellules en action exprime de nombreux griefs à l’encontre des services de l’Etat.

– Jean-Michel Hauteville

« Une réalité de la xénophobie qu’il faut combattre »

Le maire du Prêcheur exhorte les Martiniquais à « faire preuve d’humanité et de sens de l’accueil » envers les immigrés caribéens qui vivent sur notre île.

« D’après ce que j’ai compris, ils cherchaient des personnes qui faisaient partie des filières d’immigration clandestine », dit le maire du Prêcheur à propos de cette descente de la Police aux frontières en pleine nuit dans le quartier de Pointe Lamare. Il se dit « particulièrement choqué » par les modalités de cette intervention policière en pleine nuit.

Les résidents qui ont été inquiétés sont « des personnes qui ne posent aucun problème », affirme Marcellin Nadeau. Les policiers « s’en sont pris à des familles, sans vérifier si ces familles étaient en situation régulière », souligne l’élu, ajoutant que des résidents « ont été bousculés, y compris des conjoints qui ont la nationalité française », tandis que, dans les familles, « les enfants ont vécu ce moment difficile ». Quelques semaines après l’incident, le maire a organisé une réunion d’information avec ses administrés de Pointe Lamare. La municipalité a, en outre, demandé des explications à la préfecture sur cette intervention.

Une évidence pour cette commune qui, en raison de sa position géographique, abrite « une communauté haïtienne importante mais aussi pas mal de Dominiquais », selon M. Nadeau. « Peut-être une centaine de personnes » : un chiffre qui est loin d’être anodin dans une commune de 1200 habitants.

Au Prêcheur, la cohabitation entre la population martiniquaise et ces communautés d’origine étrangère se passe globalement bien. « Les personnes d’origine haïtienne sont très présentes dans l’agriculture au Prêcheur et on leur doit le maintien de notre agriculture », assure l’édile préchotin. Chaque année, à la fête de l’agriculture du Prêcheur, qui se déroule à la Pentecôte, les cultivateurs haïtiens sont mis à l’honneur aux côtés des exploitants martiniquais.

Sanctionner les « profiteurs de misère »

Cela n’empêche pas l’existence de comportements xénophobes à l’encontre de cette population immigrée, reconnaît Marcellin Nadeau. Selon lui, certains prennent le prétexte du « caractère irrégulier » de la présence des Haïtiens du Prêcheur. « Mais au-delà du caractère irrégulier, il y a quelquefois une réalité de la xénophobie qu’il faut combattre », dit-il. Aux yeux du conseiller territorial, la méfiance de certains Martiniquais envers les immigrés serait due, pour partie au « poids politique de l’extrême-droite en France », qui influence « le comportement de certaines institutions comme l’institution policière » et celui d’une partie de la population, sensible aux discours de haine. Néanmoins, le maire du Prêcheur ne prône pas pour autant l’angélisme face aux passeurs. Aussi affirme-t-il que « les profiteurs de misère » doivent être « sanctionnés de la façon la plus sévère ».

Le fait que la présence de cette population étrangère soit parfois mal acceptée par les Martiniquais afflige Marcel Nadeau. « Nous sommes pour une solidarité caribéenne », affirme le candidat aux élections législatives dans la circonscription du Nord. « Il ne s’agit pas de dire qu’on laisse tout le monde entrer, mais dans le contexte caribéen, nous devons faire preuve d’humanité et de sens de l’accueil ». Une posture, selon l’édile préchotin, « conforme au discours chrétien de fraternité humaine et d’amour du prochain ». Après tout, conclut-il, « ce n’est pas par bon plaisir que les gens quittent leur pays ».

Marcellin Nadeau s’inquiète d’une « réalité de la xénophobie » en Martinique.

– Jean-Michel Hauteville

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