Blog

Créole en Martinique : entre fierté culturelle et limites constitutionnelles

Chaque semaine, dans le cadre de l’émission « A contretemps » de Zitata animée par Gérard Dorwling-Carter, les chroniqueurs traitent librement de différents sujets d’actualité. Voici la version « écrite » de l’une des rubriques du vendredi 18 octobre :

La reconnaissance du créole comme langue co-officielle est un sujet qui va bien au-delà des simples questions linguistiques et touche à l’identité, à l’histoire et au droit.

En mai 2023, l’Assemblée de Martinique avait adopté une délibération majeure qui reconnaissait officiellement le créole comme langue co-officielle de l’île, au même titre que le français. Cette décision a été saluée par beaucoup comme une victoire culturelle, un hommage rendu à une langue qui vit dans le quotidien des Martiniquais. Pendant plus d’un an, cette mesure a permis, par exemple, l’utilisation partiel du créole dans les courriers officiels de la Collectivité Territoriale de Martinique. Une reconnaissance symbolique que flatte la fierté identitaire.

Mais voilà, cette aventure s’est heurtée à une réalité juridique implacable. Le 3 octobre dernier, le tribunal administratif de la Martinique a annulé cette délibération. Pourquoi ? Eh bien, la raison principale est simple : en France, selon la Constitution, le français est et reste la seule langue officielle de la République.

Le tribunal a donc rappelé deux points essentiels. Tout d’abord, l’article 2 de la Constitution stipule que « la langue de la République est le français ». Ensuite, la loi Toubon de 1994 impose que toutes les communications entre les administrations et les citoyens se fassent exclusivement en français. En reconnaissant le créole comme langue officielle, l’Assemblée de Martinique est allée à l’encontre de ces principes constitutionnels et législatifs. La création d’une seconde langue officielle a donc été jugée illégale par le tribunal.

Est-ce pour autant une remise en cause du créole en tant que langue régionale ? Pas du tout. Le jugement du tribunal précise bien qu’il ne remet pas en cause l’usage du créole dans la vie quotidienne. Chacun reste libre d’utiliser le créole dans ses échanges privés, dans la famille, entre amis, et même dans certaines situations publiques. De plus, ce jugement ne remet pas en question les politiques de promotion et d’enseignement du créole qui existent déjà. Le créole reste une langue régionale reconnue, et il existe des mesures pour soutenir son apprentissage et sa diffusion.

Alors, où se situe le débat ? C’est une question de statut. La Constitution française ne permet pas qu’une autre langue soit déclarée « officielle » en dehors du français. C’est un débat récurrent dans les territoires ultramarins et en héxagone pour d’autres langues régionales. En Martinique, il s’agit d’une quête de reconnaissance plus large, un symbole de la culture et de l’identité locale face aux règles de l’État central.

Ce débat révèle également les tensions entre la défense des identités régionales et la nécessité d’unité nationale. Les langues régionales sont des trésors vivants, porteurs de mémoire et d’identité, mais elles doivent cohabiter avec une langue nationale qui, pour l’État, est le ciment de la République.

Pour conclure, l’annulation de cette délibération par le tribunal administratif est un rappel des limites constitutionnelles auxquelles se heurte la reconnaissance du créole comme langue officielle. Toutefois, le créole garde sa place dans le cœur et le quotidien des Martiniquais. Il demeure une langue vivante, porteuse d’histoire et de culture, même si son usage ne pourra pas, pour l’instant, être institutionnalisé au même titre que le français.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *