"L'Ombre des Esclaves" : les voies du vivre-ensemble
Voici qui nous ramène à votre grand prédécesseur Béhanzin, roi traditionnel d’Abomey et souverain du Dahomey, déporté en Martinique en 1894, pour s’être opposé à la colonisation française. Il y restera 12 années.
Excellence, bienvenue à la Martinique qui vous salue avec fierté et respect. Dans notre langue créole nous disons : « NOU KONTAN WOUEW EN TI PÉYI NOUAN ».
En ce jour de commémoration, nous savons que la vie n’est qu’une fuite en avant, où périodiquement il nous faut regarder en arrière et mesurer le chemin parcouru, et surtout pour évaluer la distance pour demain.
Nous sommes pour la plupart habités :
- par une Afrique que nous connaissons à peine,
- par une Inde dont nous ignorons quasiment tout,
- et par une Europe qui a du mal à nous reconnaitre.
C’est précisément ce tout, qui nous a obligés à nous recréer nous-mêmes, par la langue créole, par la cuisine créole, par la culture créole, par la médecine créole, etc.
Ce mot « créole », dérivé du mot CREOLIO, qui signifie créé sur place ou né sur place, ne peut être le qualificatif de quelque groupe que ce soit, car il annonce un monde nouveau, ouvert et faisant place à la spécificité de chacun. Ce brassage particulier que nous sommes aujourd’hui, fait de nous, au-delà de nos souffrances passées et actuelles, un peuple résilient, fort et déterminé, en toute circonstance, à se faire reconnaitre et respecter.
Résilience, disais-je : OUI, je vous citerai 3 cas :
- Au lendemain du 22 mai 1848, nos ancêtres ont commencé leur reconstruction, pour nous permettre d’être ce que nous sommes aujourd’hui, et nous avons repris le flambeau pour poursuivre notre propre émancipation.
- Au lendemain du 8 mai 1902, alors que la ville de Saint-Pierre et toute sa culture étaient anéanties par l’éruption de la montagne Pelée, provoquant la disparition de près de 30000 âmes, nos ancêtres vont, sans se replier sur eux-mêmes, sans attendre les aides de l’État français, faire preuve de résilience et procéder à la reconstruction du pays.
- Le dernier exemple de résilience du peuple martiniquais s’est passé pendant la période de l’amiral ROBERT, de 1940 à 1943, où pendant trois interminables années, la Martinique va se trouver coupée du monde. Nos ancêtres vont, là encore, devoir tout inventer pour survivre, allant pour certains, jusqu’à manger des galettes de terre.
OUI notre histoire n’est pas commune. Comme beaucoup de peuples sur cette planète, nous avons subi l’esclavage. Mais personne en ce monde, n’a subi cette traite Négrière et son cortège d’abomination, d’inhumanité, de racisme, au point de nous supprimer notre identité humaine pour nous classer au rang de choses. Mais nous sommes restés debout et continuons d’avancer. C’est en ce sens qu’Aimé CÉSAIRE nous dit : « Un pas, un autre pas, encore un autre pas, et tenir gagné chaque pas » ; ou que le docteur Martin Luther KING dit dans un de ces discours, je le cite : « Si tu ne peux pas voler, alors cours ; si tu ne peux pas courir, alors marche ; si tu ne peux pas marcher, alors rampe ; mais surtout, continue d’avancer ! ».
À ce jour, il existe encore des esclavages dans le monde. La dernière abolition connue date de 1992, il s’agit du Pakistan. Cependant les comités de vigilance, qui devraient contrôler l’application de la loi, n’ont pas été créés. C’est dire que rien n’a changé là bas.
Aujourd’hui nous sommes libres, et quelques chaines subsistent encore. Prenons garde à ne pas à nouveau nous enchaîner, par le refus de l’acceptation, de ce que nous sommes : des hommes et des femmes incroyables et nés ici d’un alliage ethnique devant servir de phare au monde par la puissance de sa diversité.
Les écrits de CÉSAIRE, FANON, GLISSANT et bien d’autres en sont des témoignages patents.
OUI, bien qu’ayant été privés de notre mamelle caraïbe, nous nous nourrissons de nos mamelles africaine, européenne et indienne en grande partie, par le fait que nous sommes des « nés ici ».
Cela fait de nous, par conséquent, des « KALINAGO-AFRO-INDO-CHINO-BLANCS-CREOLES » !
Toutes ces particularités nous appellent à répondre à cette injonction : « Faire de nos différences une œuvre collective » pour un pays plus fort, qui de son rayonnement devrait à son tour éclairer tous les continents.
C’est en cela que les membres de l’association « Tous Créoles ! » sont en parfaite symbiose et agissent, ensemble, pour une Martinique apaisée.
Merci de votre attention.
Érick DÉDÉ
Lamentin, le 21 mai 2017