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Omaj pou Mèt Jan Bernabé

Le professeur Jean Bernabé lors de notre AG du 03/09/2011

Notre route a croisé en 2010 celle de Monsieur Jean Bernabé, professeur émérite des universités, alors qu’au nom de l’association « Tous Créoles ! » nous tentions un rapprochement avec nos intellectuels martiniquais.
Cependant, inscrite depuis déjà trois ans dans le paysage sociétal local, notre association suscitait visiblement méfiance et rejet de la part de nos divers écrivains, sociologues, universitaires et autres penseurs. Pourtant, notre objectif clairement affiché de « contribuer à l’édification d’une communauté créole apaisée, solidaire et affranchie de tout sectarisme » aurait dû nous faciliter l’approche de ces prescripteurs martiniquais.  Car leur position et leur notoriété les placent en situation d’être suivis et écoutés par un grand nombre, ce qui leur fait devoir de tenir un discours d’apaisement et d’unification.
Dans le groupe restreint des penseurs libres, le professeur Bernabé a accepté la « Rencontre avec l’Autre », ayant eu la clairvoyance et l’ouverture d’esprit –qui n’est pas une fracture du crâne !- de comprendre que l’association « Tous Créoles ! » est loin d’être une organisation de promotion ou de défense des Blancs créoles ou Békés, mais bien une initiative spontanée, partagée entre de nombreuses personnes de bonne volonté. Aussi, en assistant à l’une des séances de notre Conseil d’administration, le professeur Bernabé a immédiatement apprécié la grande diversité des hommes et des femmes constituant l’association, dont l’ambition constante, rappelons-le, est de faire de nos différences une œuvre collective.
Dès lors convaincu de la sincérité et de la portée de notre démarche, le professeur Bernabé, par petites touches, a commencé de nous distiller conseils et correctifs, vigilant qu’il était de nous empêcher de céder à un quelconque communautarisme. C’est ainsi qu’il apporta des contributions précieuses à la Charte de notre association publiée en 2011, document fondamental dont notre association souhaitait se doter, pour sceller de manière solennelle notre pensée, nos principes, notre éthique, et destinée à impulser une ligne directrice à notre action. Nous voulions également y consigner notre vision de la Créolité et y affirmer notre foi en ses valeurs et en sa pérennité, ce qui bien évidemment comblait le professeur Bernabé, co-auteur en 1989 de « L’éloge de la Créolité ».
Cette coopération se déroulait dans une ambiance complice, marquée par la modestie naturelle et la force de conviction qui caractérisaient celui qui devenait insensiblement notre ami. Nous étions émus par le profond respect qu’il témoignait à chacun, par son esprit de tolérance, et impressionnés par son intelligence, magnifiquement servie par le pointillisme du grand linguiste qu’il était.
Puis Jean Bernabé acceptait d’être le conférencier de notre assemblée générale de septembre 2011, sur le thème « Des arcanes de l’imaginaire colonial aux chemins d’une décolonisation mentale : les enjeux possibles de l’association TOUS CRÉOLES ! ». Un discours « décoiffant », dont la hardiesse des propos et la justesse des analyses ont contribué à dénoncer, voire détruire, différents clichés ou croyances qui desservent encore la formation d’une vraie collectivité martiniquaise. Un courageux et audacieux plaidoyer sur notre besoin d’un vivre-ensemble décomplexé, dans lequel il est notamment souligné que la créolité n’est pas un attribut identitaire, mais bien un processus constant de partage, de projet et, par conséquent, de progrès. Cette intervention publique, devant un auditoire nombreux, officialisait en quelque sorte notre travail partagé avec Jean Bernabé, marqué notamment par l’attention critique qu’il portait à nos travaux.
Travail qui s’est amplifié en novembre 2012 lors de la venue à la Martinique du célèbre professeur Boris Cyrulnik, puisqu’à cette occasion Jean Bernabé a pris la parole à notre invitation devant près d’un millier de participants, sur un thème qui nous est cher : « Réflexions sur un parcours historique de la résilience martiniquaise » ; exposé particulièrement courageux, puisqu’entre autres analyses puissantes, le professeur Bernabé rappelait que « la condition des engagés blancs (les 36-mois), concurrents potentiels du maître-colon, ce que ne sont pas les esclaves, était souvent pire que celle des esclaves ». Concernant notre association « Tous Créoles ! », il affirmait que son existence « constitue (…) une nouvelle perspective de résilience » et conseillait la lecture de notre charte, qui traduit « la volonté de mettre en œuvre une créolité qui concerne tous les Martiniquais ».
Enfin, le professeur Bernabé s’était engagé avec nous dans une fructueuse et longue réflexion lexicale destinée à rédiger une définition actualisée du terme ‘créole’, en vue de la proposer à l’académie française ainsi qu’aux dictionnaires de langue française. Cette tâche achevée cherche aujourd’hui des soutiens pour prospérer.
Mais survint le mal qui devait l’emporter si vite.
Un de nos maîtres s’en est allé, mais ses travaux et son exigence marqueront à jamais notre association. Et nous garderons de lui le souvenir d’un homme cultivé, respectueux, honnête, humble.
Simplement bon.

  • Association « Tous Créoles ! »
  • Le Conseil d’administration, 20 avril 2017

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