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Les musées londoniens font de plus en plus de place aux minorités.

Le projet d’antenne du Victoria and Albert Museum dans l’est de la capitale britannique est le dernier exemple en date de la démarche d’inclusivité qui caractérise les institutions culturelles du pays.

Par Cécile Ducourtieux(mots pour Le Monde

Le quartier de Hackney Wick, où sera construite l’antenne du Victoria and Albert Museum. Dans l’est de Londres, le 27 février 2021. DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

LETTRE DE LONDRES

Mercredi 30 juin, tout le gratin culturel londonien s’était donné rendez-vous à Hackney Wick, dans le nord-est de la capitale britannique. Entrepôts réaménagés en ateliers d’artistes, espaces de coworking et ateliers d’impression 3D, brasseries artisanales en fonds de cour et food trucks appétissants sur les trottoirs… Cette vaste zone urbaine aux petits airs berlinois, entre friche industrielle et vastes espaces verts (l’énorme réserve naturelle Walthamstow Wetlands est à peine plus au nord), est un lieu contrasté, à la fois branché et créatif, mais avec des poches de grande pauvreté, où la pandémie a fait des ravages ces derniers dix-huit mois.

C’est là, tout près du parc olympique Elizabeth II, que devraient sortir de terre deux nouveaux espaces muséaux, sous l’ombrelle du Victoria and Albert Museum (le V & A), l’institution consacrée aux arts décoratifs du très chic quartier de South Kensington. Le V & A East consistera, à partir de 2024, en un énorme espace de stockage ouvert au public, la « V & A East Storehouse ». Soit 16 000 m2 de surface disponible, destinée à accueillir 250 000 objets, 350 000 livres et 1 000 archives, dont celles du festival de musique pop de Glastonbury et de l’autrice-chanteuse-compositrice PJ Harvey.

A quelques centaines de mètres, l’élégant V & A East Museum offrira plus classiquement des lieux d’expositions, restaurants et boutique. Le bâtiment a été conçu par le studio d’architectes O’Donnell + Tuomey, qui s’est inspiré pour sa forme d’une des robes années 1950 du couturier espagnol Cristobal Balenciaga, à la fois structurée et enveloppante.

« Des artistes sous-représentés »

« Nous voulons rendre l’art accessible, nous voulons des espaces ouverts à tous, notamment aux jeunes, profondément intégrés dans cette partie de la capitale, a expliqué Gus Casely-Hayford, le directeur du futur V & A East. Nous nous déplaçons dans l’est de Londres, un endroit mixte et novateur, pour y créer un campus consacré à la créativité, qui va contribuer à la reprise post-Covid dans la capitale. »

D’origine ghanéenne, le Britannique, historien et professeur à la School of Oriental and African Studies de Londres, a dirigé jusqu’à tout récemment le Smithsonian National Museum of African Art à Washington, principal musée consacré à l’art africain aux Etats-Unis. Il explique avoir sillonné de long en large Hackney durant le confinement, et déjà rencontré – souvent virtuellement – 20 000 habitants de l’arrondissement.

Parmi les premières acquisitions du V & A East, Gus Casely-Hayford a présenté le portrait d’une jeune fille croisée à Dalston, un marché de l’est londonien, exécuté par l’Américain Kehinde Wiley, des céramiques de l’artiste londonienne Mawuena Kattah ou la robe en tulle rose de la designer Molly Goddard portée par Beyoncé et le personnage de Villanelle dans la série de la BBC Killing Eve« Nous voulons mettre en valeur des artistes sous-représentés au V & A », a insisté le directeur.

Donner à voir des créateurs issus des minorités noires et asiatiques du pays, aller au-devant de populations d’origine populaire : la proposition n’est plus tout à fait nouvelle et, comme d’autres institutions culturelles, le V & A (fondé en 1852 par Henry Cole, en pleine ère victorienne) s’y attelle à son tour, après avoir ouvert en 2018 un premier satellite à Dundee, en Ecosse.

Attirer les touristes nationaux

Ce qui frappe néanmoins, c’est l’ambition du V & A East : l’épidémie de Covid-19 n’a pas fait dérailler ce considérable projet, financé en grande partie par le ministère de la culture britannique et par la ville de Londres. Il « doit être compris comme une preuve de notre confiance dans Londres, dans sa capacité à rebondir [après la crise sanitaire] et dans son statut de capitale mondiale », expliquait mercredi Justine Simons, l’adjointe à la culture du maire (travailliste) de Londres, Sadiq Khan. La ville anticipe moins de touristes internationaux dans les années à venir – à cause de l’effet conjugué de la pandémie et du Brexit –, et considère ce projet comme un moyen d’attirer les touristes nationaux dans la capitale.

Impossible, en tout cas, de diriger désormais une institution culturelle du seul point de vue de la majorité blanche du pays, ou sans adopter une démarche la plus inclusive possible. Fin juin, George Osborne, ex-chancelier de l’Echiquier et ex-directeur du quotidien Evening Standard, a été nommé président du British Museum, le musée le plus visité du pays. Cet ex- « Monsieur Austérité » du gouvernement de David Cameron est très attendu sur le dossier délicat de la restitution des œuvres (les marbres du Parthénon, réclamés depuis des décennies par la Grèce, ou les bronzes du Bénin, saisis par l’armée britannique à la fin du XIXe siècle).

La vénérable Royal Academy of Arts, sur l’artère de Piccadilly, a même probablement péché par excès de zèle. Connue pour ses expositions prestigieuses – en ce moment Tracey Emin et David Hockney –, elle vient de se retrouver au centre d’une mini-tempête médiatique après avoir déréférencé de sa boutique l’artiste textile d’origine allemande Jess de Wahls, à la suite d’un post de blog de cette dernière datant de 2019 et jugé transphobe. Après que Jess de Wahls a été copieusement prise à partie sur les réseaux sociaux, et a protesté au nom de la liberté d’expression, la direction de la Royal Academy of Arts a dû rapidement faire machine arrière, et présenter des excuses publiques.

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