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Histoire des « engagés » ou « 36-mois »

« Engagés : espèces d’hommes qui se vendaient en Europe comme esclaves pendant trois ans dans les colonies« . (Abbé Guillaume-Thomas François Raynal, 1713-1796).
L’un des objets figurant dans les statuts de notre association est le suivant : « Des études et recherches seront conduites sur l’histoire de la société martiniquaise, pour en permettre une connaissance et une compréhension les plus justes et humanistes que possible, notamment de la période de l’esclavage« .
Aussi, il nous a paru intéressant de faire connaître -ou de rappeler- l’un des aspects assez mal connus de notre histoire : les « engagés » (ou « 36-mois »).

Il est bon de rappeler la composition des premiers colons :
. 60% de paysans venus du fin fond des provinces du Nord-Ouest de la France (Vendée, Normandie, Poitou, Bretagne etc.) qui étaient employés comme « engagés » ou « 36 mois » par quelques grands planteurs et qui travaillaient sur les « habitations » aux côtés des esclaves noirs. S’ils parvenaient à survivre au bout de leur période d’engagement, ils se voyaient octroyer un bout de terrain pour devenir propriétaires à leur tour. En 1635, au 17è siècle donc, l’école gratuite, laïque et obligatoire n’existait pas encore (ce sera le cas 2 siècles plus tard), donc la quasi-totalité de ces paysans est analphabète et parle les dialectes d’oïl (normand, poitevin, vendéen etc…).
. 30% de repris de justice, de malandrins, de hors-la-loi, bref de gens qui n’ont rien à perdre et qui sont prêts à tenter l’aventure vers l’Amérique afin de se refaire une nouvelle vie. Beaucoup d’entre ces gens de sac et de corde étaient d’ailleurs expulsés vers les colonies afin de purger le Royaume de France de ses impuretés.
. 10% de cadets de famille, c’est-à-dire de fils de nobles qui, dans le droit d’Ancien régime, ne pouvait bénéficier d’aucune part de l’héritage de leur père (cet héritage revenant tout entier à l’aîné) et qui n’ayant aucune perspective en France, tentaient eux aussi de se construire une vie meilleure par-delà l’Atlantique.
Autrement dit, […], seule une infime minorité des Békés est d’origine noble. Tous les historiens sont d’accord là-dessus. Il suffit de lire le monumental travail de Petitjean-Roget (Béké lui-même), « La société d’Habitation à la Martinique, 1635-1665 » ou encore Sydney Daney, Gabriel Debien ou Paul Butel pour se rendre compte que l’origine noble de nos actuels Békés relève de la pure fable. 
Raphaël CONFIANT (http://www.montraykreyol.org/spip.php?article2045)
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Qui sont les nouveaux colons ? On trouve principalement ceux qui avaient suffisamment de fortune pour se payer le voyage et des engagés. Arrivés en Guadeloupe, les premiers obtiennent une concession de terres et deviennent colons ou « maîtres de case ».
Les « engagés » (ou alloués comme on les nommait jusqu’en 1642) étaient des émigrants volontaires qui n’avaient pas les moyens suffisants pour payer leur voyage. Ils passaient un contrat par lequel ils s’engageaient à travailler pendant trente six mois (d’où le surnom de 36 mois) sans salaire en dédommagement de leur voyage.  Au terme de leurs contrats, certains obtenaient une concession et devenaient à leur tour « maîtres de case ».
Les candidats au voyage venaient principalement de l’Ouest et du Nord-Ouest de la France (à l’ouest d’une ligne Bordeaux-Lille) : provinces du Poitou, de l’Aunis, de Saintonge, de l’Anjou. Ils venaient également de la Bretagne, de la Normandie, de l’île de France, etc. …
Ce sont en grande majorité des ruraux (laboureurs) mais on trouve également des artisans (charpentiers, menuisiers, forgerons, scieurs de long, maçons, briquetiers, tonneliers etc. …).
La mortalité chez les « engagés » était impressionnante : ils meurent jeunes victimes du climat, des serpents, d’une mauvaise hygiène, des Caraïbes et de la cruauté de leurs propriétaires.
La Compagnie des Îles d’Amérique durcit encore l’existence des premiers colons en imposant la règle de l’exclusif imposé par le roi : « Ne fournir à la colonie que ce qu’elle a besoin, lui acheter … à petit prix, tout ce qu’elle produit ».
(http://www.karaibes.com/histoire4.htm)
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« Si pour parvenir à cela l’expédient d’envoyer des engagés est suivi, il est à propos de dire et de savoir que cet engagement de service pour trois ans estant une espèce d’esclavage, et même quelque chose de plus quand l’engagé tombe entre les mains d’un mauvais maistre, a été rendu odieux dans tous les lieux de la France où on a coutume de faire des engagés de sorte que cette condition estant fort décriée, il se trouve peu de gens qui veuillent s’y engager d’autant plus que le pain et les vivres n’étant pas chers en France, chacun trouve à peu près à y subsister sans s’exposer à un grand voyage et à une fort dure condition pour avoir la vie. »
Lettre du gouverneur Du LION à COLBERT (Guadeloupe, 1669)
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« Je ne sçaurais m’empêcher de faire icy quelque attention à la dureté qu’on a veu cy devant dans quelques habitans a l’esgard de leurs engagez, on a vu ces maistres denaturez obliger leurs engagez a travailler au-delà de leurs forces et les y contraindre en les chargeant de coups continuellement sans même leur fournir des alimens suffisants pour les substanter, ces maistres faisant beaucoup moins de cas d’un engagez que d’un noir esclave, et se mettant bien moins en peine de la mort d’un engagez que de celle d’un noir parce qu’il perde plus à l’un qu’à l’autre, si l’on avait égard dans ce qui concerne les engagez aux habitans qui sont d’un si mauvais caractère, le terme de 18 mois seroit encore trop long pour les engagemens et il ne se trouveroit personne qui ne dist que l’usage des engagez devroit estre entièrement absolu, si leur condition  estoit d’estre assujettis à des cruautés si estranges. » 
Intendant ROBERT : « Mémoire sur ce qui concerne les engagés des isles françaises de l’Amérique », 1698
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Les engagés venaient sous contrat avec un planteur pour une durée de trois ans (d’où leur surnom de « trente-six mois »). Le planteur couvrait les frais du voyage et exigeait ensuite de l’engagé un travail semblable à celui de la main d’œuvre servile. Mais, à la différence de l’esclave, s’il réussissait à survivre aux terribles conditions de vie et de travail qui lui étaient imposées, l’engagé recouvrait sa liberté à l’issue des trois années de son contrat et se voyait allouer une terre lui permettant de devenir à son tour planteur. (…)
L’espoir était-il à ce point absent de la condition d’engagé ? (…) Esclavage perpétuel, ou esclavage temporaire ? Le débat, engagé au XVII° siècle, se poursuit au XVIII° et reparaît au XIX° siècle. L’engagé sachant que son sort est temporaire, tout dépend du pourcentage de chances qu’il a de s’en sortir vivant. (…)
Le P. Du Tertre, qui les a bien connus, a fortement dénoncé le sort qui leur était fait dans les premières années de la colonisation de la Guadeloupe dans son Histoire générale des Antilles habitées par les Français : « Car bien que ces pauvres engagés fussent extraordinairement affaiblis par la misère et la faim, on les traitait plus mal que des esclaves, et l’on ne les poussait au travail qu’à coups de bâtons et de hallebardes, si bien que quelques-uns qui avaient été captifs en Barbarie, maudissaient l’heure qu’ils en étaient sortis, invoquant publiquement le diable, et se donnant à lui, pourvu qu’il les reportât en France ; et ce qui est de plus horrible, quelques-uns sont morts avec ces paroles en la bouche ».  
Léo ELISABETH, historien (http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Martinique#Les_d.C3.A9buts_de_la_colonisation)
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Quelle fut la condition de ces engagés ? Au début, elle ne semble pas avoir été pénible. […] Mais leur condition empira vite. Les missionnaires sont unanimes à le constater : « Ils font souvent, dit le P. Chevillard, tous les excessifs travaux, pauvre nourriture, veilles, horriblement bastonnés et périssent tous au milieu de tant de misère ».
Peu après son arrivée à la Martinique, le P. Labat trouve fort affligé le jeune engagé Massonnier, son compagnon de voyage. « Il avait appris, dit-il, que la condition des engagés dans les iles était un esclavage fort rude et fort pénible qui ne diffère de celui des nègres que parce qu’il ne dure que trois ans ». Oexmelin qui a connu la vie d’engagé apporte son témoignage : « Le matin, sitôt que le jour commence à paraître, monsieur le commandant siffle, afin que tous ses gens viennent au travail, il permet à ceux qui fument d’allumer peur pipe de tabac et les mène au travail qui consiste à abattre du bois ou à cultiver le tabac. Il est là, avec un certain baston qu’on nomme une lienne : si quelqu’un regarde derrière luy, ou qu’il soit un moment sans agir, il frappe dessus, ni plus ni moins qu’un maistre de galère sur des forçats : et malades ou non, il faut qu’ils travaillent : j’en ai vu battre à un point qu’ils n’en sont jamais relevez. On les met dans un trou que l’on fait à un coin de l’habitation et n’en parle point davantage ».
Les ordonnances des administrateurs essayèrent de réprimer les mauvais traitements infligés aux engagés : l’article XIV du règlement de Tracy interdit aux maîtres d’exercer des violences contre eux : les engagés maltraités seront dégagés de leur engagement et le maître sera tenu de leur payer le salaire qu’il devrait verser à la fin de celui-ci.
Le lieutenant général Blénac, dans une lettre du 19 novembre 1680, s’apitoyait sur leur sort : « La manière de treter les engagés est à faire trembler, il faut le voir pour le croire, de six cents, il ne s’en sauvera pas cinquante. Un habitant trete son engagé de cette manière : il le met à la cassave et à l’eau et trois livres de bœuf puant par semaine pour le plus, l’engagé qui n’est pas accoutumé à cette vie tombe dans la colicque, dans les anflures de jambes, dans la fièvre, dans le mal d’estomac. L’habitant croit son argent perdu, parce que le tans de l’engagement s’écoule et quelque malade qu’il soit, le roue de coups pour faire le travailler, préfère son nègre à lui parce que le nègre lui demeure toujours et que l’engagé, le tans finy, l’afaire est faite (…)». 
Liliane CHAULEAU : « Dans les îles du vent : la Martinique (XVIIe-XIXe siècle) » (http://books.google.fr/books?id=56m3VtPp1c4C&pg=PA110&dq=liliane+chauleau+les+engag%C3%A9s&hl=fr&ei=lUpVTuT5KYqE-wb2z_2mBg&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CDYQ6AEwAA#v=onepage&q&f=false)
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En cette fin de 1639 où le Commandeur de Poincy, successeur de Belain d’Esnambuc arrive à Saint-Christophe, interrogerons-nous le jésuite Bouton qui le 15 novembre 1639 à Nantes s’est embarqué sur la Petite Europe pour aller installer son ordre à la Martinique où il a pu voir en action les souscripteurs de ces contrats dont certains ont partagé son bateau.
« La principale richesse d’un maître de case, constate-t-il, consiste au nombre de serviteurs qu’il amène pour découvrir et cultiver la terre. Le marché qu’on fait avec eux est qu’ils s’obligent à servir pour trois ans et moyennant cela, le maître les fait passer à ses dépens, les nourrit et leur donne par an 80 à 100 livres de pétun et eux-mêmes s’entretiennent d’habits. Au bout de trois ans s’ils veulent demeurer dans l’île, ils demandent quelque place à Monsieur le Gouverneur qui l’accorde volontiers aux lieux qui ne sont pas encore occupés. Quelques fois, deux ou trois hommes se font matelots les uns des autres, c’est-à-dire se joignent et associent ensemble et tiennent une même habitation qu’ils font à frais communs« .
Un peu plus tard, vers 1641, un anonyme de St-Christophe fait une analyse semblable où ne perce aucune indignation : « La condition de ceux qui passent au dit pais est telle que se rendans au lieu où se faict quelque embarquement, soit à Dieppe, Havre de Grace, Honfleur, Nantes ou La Rochelle, il se trouve es dits lieux bien assez de personnes qui les deffraient durant le voiage pourvu qu’ils s’obligent de les suivre trois ans dans le pais avec gages et appointements honnestes pour s’entretenir durant le dit temps au bout duquel leur est donnée suffisante quantité de terre défrichée dont ils peuvent faire leur profit et en peuvent prendre autant qu’ils en pourront défricher, leur estant aussy loisible de prendre des serviteurs tels qu’ils ont esté à la mesme condition, les achettant des maistres des navires, c’est à dire les rembourceant la despense de leur passage et en un mot ce qu’ils auraient couté et tout cela se paie en pétun« .
L’ensemble de la population blanche de St-Christophe et de la Martinique, tous ses membres ont dû le reconnaître avant de partir, est alors toute entière dans la dépendance des Seigneurs de la Compagnie qui, dans la tradition féodale les protègent, les commandent et les pressurent. Elle se compose de « maîtres de case » et de « serviteurs« .
(…) Les serviteurs ont loué le travail de leurs bras pour trois ans aux maîtres qui les ont transportés au lointain de leur travail où ils doivent les nourrir et leur payer leurs gages. Ils ont donc renoncé pour cette durée à la libre disposition de leur temps.
On a parlé à leur sujet de « servitude » en attachant à ce mot tout ce qu’il offre d’ambigüité et provoque de répulsion de nos jours. Il n’y avait là rien de scandaleux dans la mentalité du XVII°. Ils faisaient comme les manouvriers qui seuls ou en groupe allaient loin de chez eux accomplir une récolte ou comme les matelots qui partaient pour un voyage de l’aval. Bien entendu l’acceptation de telles situations ne constituait pas alors un encouragement aux abus qui en pouvaient résulter. Un Olivier de Serres à la fin du XVI° ne se faisait pas faute de rappeler qu’il fallait traiter les serviteurs comme « personnes de libre condition et chrestiennes« . Dans leurs contrats, ces serviteurs des îles « s’obligent« , « s’allouent » ou « se soumettent » pour « servir« , ils sont dits « compagnons alloués » ou « alloués« . Jamais avant 1640 nous n’avons vu leur appliquer le nom d’engagés. Il n’y a là sans doute qu’une nuance, car tout contrat est en fait un engagement mais elle est d’importance car l’appellation « engagé » prendra au cours de l’histoire une coloration bien particulière jusqu’à devenir la macule et pour un martiniquais du XVIII° l’insulte suprême.
(…) Sur le Don de Dieu florissant de 1635, Jean Jeham dit Vertprey, natif de St-Mars des Prés en Poitou, au vicomté de Mouilleron, alors âgé de 25 ans est l’un des alloués de Louis Faucquelin, seul parmi eux à ne pas être normand. Lui aussi se rend à la Martinique avec du Parquet. En 1643, il est l’un des officiers de milice qui y entérinent l’enregistrement de la commission de Sénéchal de du Parquet sur laquelle, ne sachant pas signer, il pose sa marque constituée par trois V entourés d’un cercle ; on la retrouve sur le serment d’allégeance au nouveau général de Thoisy en 1646. En 1650, il est alors lieutenant, du Parquet l’amène à la tête de 60 hommes à la Grenade où il lui confie l’expédition contre les Caraïbes qui se termine par le massacre de Sauteur. Le 24 novembre 1656 « Jean Jeham, sieur de Verpré, capitaine d’une Compagnie française entretenue de l’isle de Martinique » étant à Dieppe, donne procuration à un habitant de la Martinique revenu dans ce port pour retirer du pétun d’un navire hollandais et en distribuer le produit à La Rochelle, à Nantes et à Dieppe. Sa contribution à l’éviction des Caraïbes de la Capesterre de la Martinique lui vaudra l’attribution d’une vaste concession au Marigot sur laquelle il mourra en 1685 ayant eu huit enfants.
(…) Le père Maurile de St-Michel constate lors de son passage aux îles : (…) « Celuy qui en passe un autre n’a pas seulement le droit de s’en servir trois ans mais le peut vendre à qui bon luy semble et celui-cy à un autre ».
(…) Certes les écrivains de cette période utilisent le mot engagé mais jamais encore ce participe passé ne prend valeur de substantif. On n’a pas encore assisté à la naissance du trope qui conduira plus tard à la définition de l’abbé Raynal : « Engagés : espèces d’hommes qui se vendaient en Europe comme esclaves pendant trois ans dans les colonies« .
Les appellations populaires collent à la réalité et suivent l’évolution des institutions. C’est une autre figure qui est alors utilisée par le langage des îles. Maurile de St-Michel, dans ses souvenirs, évoque « quelques uns de nos François qu’ils appellent trente six mois, à cause qu’ils doivent servir trois ans’’. Rochefort en donne la confirmation : « A cause de ces trois ans de service où ils sont engagez, on les appelle communément des trente six mois au langage des îles». Il les définit comme « des serviteurs à louage et qui ne sont que pour un temps ».
(…) Plus tard, on désignera cette catégorie d’hommes non plus par l’énonciation des bornes de leur temps à faire mais, en visant leur être par une ellipse où le déterminant absorbe le déterminé. La dénomination « engagé » appliquée à un être anonyme qu’on se passe de maître en maître, sera alors chargée d’une nuance péjorative qui ne s’effacera plus avec le terme d’un contrat qui tend à se schématiser.
Jacques PETITJEAN ROGET : « La société d’Habitation à la Martinique, 1635–1685 »
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« …tout d’abord, la période de défrichage (où l’esclave étant un « bien » précieux parce qu’encore très rare, donc très cher, vit dans une certaine proximité avec le maître, qui lui-même est souvent un pauvre hère arrivé aux Amériques pour échapper à la misère ou aux persécutions). Quant à l’engagé européen (appelé « trente-six mois »), il est libre, mais très mal traité afin qu’il disparaisse avant les trois ans au bout desquels il pourra juridiquement s’installer à son tour comme colon. C’est un concurrent direct pour le colon déjà installé ». 
Jean BERNABÉ, professeur émérite des universités, 03/11/2011
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(…) au début, tant que la vie était dure pour tout le monde dans la colonie, seule la privation de liberté distinguait les esclaves des maîtres.
(…) 1635 : arrivée des premiers colons français. À part les gouverneurs qui représentent l’État français, ce sont des gens en situation de misère en France (cadets de familles, repris de justice, prostituées, etc.).
. Pendant une première période, celle du défrichage, la condition des engagés (les 36-mois, concurrents potentiels du maître-colon, ce que ne sont pas les esclaves. Je le rappelle, leur sort était souvent pire que celui des esclaves (migrants malgré eux et victimes de l’exploitation colonialiste).
. Cela s’explique par le fait que la rareté des esclaves à cette époque fait qu’ils sont chers. Du coup, ils sont plus ou moins entretenus par le maître, comme de nos jours on entretient une machine agricole pour préserver son rendement.
Jean BERNABÉ, professeur émérite des universités : « Partage de mémoire » et « Réflexions sur un parcours historique de la résilience antillaise », 10/11/2012
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« Le sort des engagés était tellement affreux, qu’ils auraient préféré être des esclaves à cause des conditions de vie exécrables liées à la faim, au problème de logement, d’hygiène et consort. N’oublions pas que le servage existe à l’époque en France ».
Lydia ORLAY, professeur d’histoire, docteur en histoire et civilisations, 03/11/2011
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Note : Des engagés et des esclaves à la Martinique au XVII° siècle 
À la lecture des textes qui précèdent, on pourrait penser que la situation des esclaves et celle des 36-mois était comparable, dans la mesure où la possibilité était donnée à un « propriétaire » de s’approprier une partie du travail d’un homme au-delà de ce qui lui était strictement nécessaire pour assurer sa survie et sa reproduction.
Mais si l’engagé et l’esclave subissaient des contraintes et souffrances fort semblables, leurs deux statuts étaient fondamentalement différents : le contrat d’un 36-mois prenait fin, et s’il avait survécu il était automatiquement libéré de ses obligations. Il était LIBRE et pouvait dès lors demander une concession foncière.
L’esclavage n’est pas seulement l’appropriation du travail de l’homme : il est l’appropriation de l’homme par l’homme. Et l’esclave ne pouvait espérer une libération que selon le bon vouloir de son maître. Il n’avait comme liberté de décision que le marronnage ou le suicide pour mettre un terme à sa situation.
Si le statut de l’engagé était au plus bas de la hiérarchie sociale des libres, celui de l’esclave était devenu le statut d’une chose, d’un meuble.
Par ailleurs, il est essentiel de souligner que le crime de l’esclavage a concerné pendant environ 200 ans plusieurs dizaines de millions d’êtres humains, ce qui est sans commune mesure avec le nombre d’engagés.
Pourquoi l’esclavage va-t-il devenir dominant puis exclusif ? Au début de la colonisation, la principale culture était celle du tabac, qui ne nécessitait pas une main-d’œuvre importante, et qui de plus n’était pas organisée en ateliers. On trouvait déjà quelques esclaves aux côtés des engagés, mais marginalement. Puis il y eut des observations montrant que les nouveaux arrivants blancs étaient davantage sujets aux fièvres entraînant la mort que certains esclaves noirs venant d’Afrique. Aujourd’hui on sait que plusieurs populations avaient développé des résistances à la malaria, par exemple. Il a alors été dit que “les Blancs ne peuvent pas travailler sous les tropiques”, car ils étaient souvent frappés par des maladies qu’ils n’avaient jamais rencontrées.
L’introduction de la culture de la canne et de la production du sucre a nécessité plus de terres, une division technique du travail et une main d’œuvre bien plus importante que la culture du tabac. Le savoir-faire cannier a fait l’objet d’un transfert global en provenance essentiellement du Brésil. Ce fut un transfert non seulement d’éléments agricoles et techniques, mais aussi et surtout celui d’une division sociale du travail avec les esclaves noirs travaillant sous les ordres d’un maître blanc. Il y avait déjà quelques esclaves dans les habitations cultivant du tabac, mais ils étaient très minoritaires et travaillaient parfois aux côtés d’engagés. Désormais avec l’augmentation de la production du sucre, les esclaves introduits par la traite deviennent de plus en plus nombreux. Les engagés blancs ne veulent plus travailler aux côtés des esclaves noir pour s’en différencier.
Quoi qu’il en soit l’esclavage est devenu le mode de production dominant à partir de 1660. Ce changement fondamental dans la société n’a pas fait l’objet de débats et il n’y a pas eu d’objection significative à ce moment à l’utilisation d’esclaves noirs, à peine certains religieux tels Du Tertre effleurent-ils la contradiction : ce dernier, en 1654, en appelle à Platon qui, « parlant des serfs et des esclaves« , trouve que « c’est une chose très difficile que la possession d’un homme« . Il reconnaît que « le christianisme… se prévaut de la douce liberté des enfants de Dieu qui rejette et abhorre tout esclavage« . Après quoi, il se contente de constater « le honteux commerce » que pratiquent les habitants des Indes de « vendition et achat de leurs semblables » et cela étant, il reconnaît qu’il ne saurait être question de l’abolir. Lui-même et ses confrères n’ont-ils pas eux aussi « tenu des esclaves » ?
Reste que la reproduction d’un tel système fondé sur l’esclavage dans une colonie française  alors que la France avait, dès le XVI° siècle, interdit ce même esclavage sur son sol, va poser un sérieux problème de représentation sociale et d’idéologie, qui va produire le racisme en tant que justification de l’inacceptable. Était-il nécessaire de créer une idéologie particulière pour justifier l’engagement des 36-mois ? Non, car la situation économique de l’engagé le conduisait à choisir ou à être forcé d’accepter un engagement. Il faisait simplement l’objet des préjugés sociaux qui frappaient les gens de basse condition économique. Par contre, la justification de l’esclavage va produire une idéologie particulière, le racisme.
Cette idéologie du racisme, comment s’est-elle structurée ? Les marchands français ou hollandais ont proposé aux colons de financer la création de sucreries et de leur fournir la main-d’œuvre nécessaire sous forme d’esclaves noirs venus d’Afrique.  La cause de l’esclavage de ces Noirs, c’est qu’on est allé les capturer ou les acheter en Afrique. Le résultat de cette traite, de cette contrainte forcée (l’effet), c’est que les esclaves des colonies américaines sont noirs. Dans l’idéologie raciste, par un effet d’inversion de la cause et de l’effet,  on est passé de « les esclaves sont noirs » à « ils sont esclaves parce que Noirs ».
On a ainsi figé un phénomène historique en une idéologie raciale et pour assurer la reproduction de cet odieux système il a fallu chosifier, déshumaniser les Noirs, les ramener au rang des choses : cela évite notamment d’avoir à se poser la question de ces cachots qui existaient au fonds des jardins des habitations.
Les constructions idéologiques ne s’embarrassent pas des contradictions. Dans l’île de Java, la Compagnie hollandaise des Indes Orientales avait instauré l’esclavage de Jaunes, la couleur n’a donc rien à voir, or dans le même temps sa société sœur, la Compagnie des Indes Occidentales, elle, expédiait des esclaves noirs vers le Nouveau monde. 
Télécharger ici le texte intégral : Textes sur les engagés ou 36-mois

3 Commentaires

  1. Lydia

    D’après une définition « bé » signifie blanc « Ké » serait « quai » en français, « béké » pourrait signifier « les blancs qui viennent du quai », il s’agit de marchands. « bé » viendrait d’un dialecte africain. Je ne trouve pas le terme « béké » dans les lectures que j’effectue, mais celui de « blanc créole » et « blanc france » pour ceux venant du continent. Blanc-péyi désigne également les békés. Ces expressions sont devenues par la suite « béké créole » et « béké france ». Aujourd’hui, le mot zorey désigne le blanc france ou béké france. Le mot zorey n’est pas martiniquais.
    Le sort des engagés était tellement affreux, qu’ils auraient préféré être des esclaves à cause des conditions de vie exécrables liées à la faim, au problème de logement, d’hygiène et consort. N’oublions pas que le servage existe à l’époque en France. Le servage succède à l’esclavage en France qui est d’ailleurs interdit sur le territoire au Moyen-Age.
    En ce qui concerne nos ancêtres féminins, elles sont caraïbes, Arawacks pour citer les plus connus chez nous. Difficile de considérer alors que les premières femmes étaient des nobles, des Européennes, des Africaines. Il semble que c’est Louis XIV qui promulgue un édit qui interdit le mariage des Blancs et des Noirs, sous peine de perdre leurs titres. Les enfants des Blancs et des Amérindiens se nommaient des Métis; ceux des Africains et des Européens des Mulâtres; les premiers Mulâtres sont nés en Afrique et certainement ensuite en Europe, puisque des échanges existaient déjà entre l’Afrique et l’Europe. L’enfant d’une Mulâtresse et d’un Blanc était appelé métis parce que commençant à se rapprocher du Blanc. A la Martinique, le terme Mulâtre désignait jusqu’à nouvel ordre tous ceux et celles ayant les cheveux lisses, la peau claire. C’est un fait de l’aristocratie blanche pour rappeler à cette catégorie qu’elle avait du sang africain, sang que dénigraient eux-mêmes les Mulâtres. Il existe un terme pour désigner ceux qui ne sont pas mulâtres mais qui ont la peau claire, on les appelle les « royal-yale » en français, ce terme a sa traduction en français, je ne veux pas mal l’écrire. Ce terme vient probablement du milieu esclave, ce n’était pas une considération raciale, les Noirs africains n’ayant pas à l’époque le complexe de la race. Pour preuve, le goût pour les vêtements blancs montrait leur désir de faire ressortir la couleur noire de leur peau. S’agissant du mot femme ou homme de couleur, il qualifiait les personnes qui n’étaient ni blanc, ni noir; c’est-à-dire celles issues du mélange des deux à des degrés divers; par la suite ce terme se limite aux Mulâtres plus proches du Blanc.
    J’ai ici fait un raccourci de l’histoire, mais les faits sont plus complexes.
    Pour l’histoire, Roger de JAHAM montre au moins qu’il s’intéresse à ses origines. Il a de très bons repères pour lesquels j’étais déjà renseignée. Il a la franchise de dire que dans sa famille, il n’était pas question d’épouser des non-békés. Les non-békés n’ont pas la franchise de dire qu’ils pensent pareil, sachant qu’ils redoutent que leurs enfants épousent des Noirs « comme hier soir ». Oh crime de sa lèse majesté, si vous les confondez avec des Africains noirs! Les Békés aiment leur île. Contrairement aux non Békés qui jettent en pâture celle-ci en la dénigrant, en disant qu’ils ne veulent plus y habiter, parce qu’ailleurs c’est mieux. Arrêtons l’hypocrisie et les polémiques inutiles!
    Roger de JAHAM a ses travers comme bon nombre de Martiniquais, on n’efface pas des siècles d’atavisme, que certains gardent en séquelles quelque soit le Martiniquais! Combien de Martiniquaises mettent des « faux-en-écriture » ou « chivé l’état » pour paraître moins nègre et nourrir le rêve ainsi d’avoir gran chivé comme le blanc. Oh ne m’a-t-on pas dit à moi-même que j’avais la chance d’avoir la peau claire, pourquoi je ne me défrisais pas les cheveux? que je ne mettais pas des tissages et ceci en pensant qu’avoir les cheveux nègre n’était pas sortable! Alors que l’on arrête d’attaquer Roger de JAHAM! Je considère d’ailleurs ces attaques comme stériles et parasites intellectuellement, chez ceux qui veulent se faire mousser sur les écrans télévisé, à la radio ou dans la presse écrite. Et à qui veut l’entendre, combien attaque les békés pour ensuite courir aussitôt à leur invitation? Pourquoi ces mêmes personnes ne les refusent-elles pas alors? Impossible, mais elles manipulent le peuple pour faire parti du gratin intellectuel nègre, mot qu’elles s’ efforcent de prononcer pour se donner de la contenance ou de la bonne conscience de ne pas rejeter la peau noire, alors que leur désir est par atavisme d’éclaircir la race. Avec parcimonie, il prononce noire et quand ils se rendent en France, ils adoptent vite le mot « black », par crainte d’entendre le mot Noir. J’oubliais la nouvelle expression consacrée est celle de « Noir Métis », telle est la façon de s’appeler des Antillais en France. Autrement, difficile pour certains et certaines, parmi les anciennes générations, d’admettre qu’un ou qu’une trop foncé, chivé gréné atteint les hautes marches des institutions politiques.
    J’assume ce que je dis, j’en ai marre de voir que la Martinique vit au lendemain de 1848, au lieu de vivre en 2011, de voir que des intellectuels abrutissent le peuple Martiniquais dans le sempiternel complexe de la peau noire, à leur rappeler que leurs ancêtres étaient des esclaves, comme un « Notre Père », « Je vous salue Marie », à la différence que c’est la haine, la médiocrité et le recul intellectuel qu’ils nourrissent. Il y a un courageux, extraordinaire qui se bat plein de dignité pour la mémoire des esclaves et pourquoi nos intellectuels « crème chantilly, salon de thé à l’anglaise » ne le soutiennent pas par l’action médiatique? Suivez la « Savane des Esclaves ». Non, c’est le Béké qu’ils chérissent dans la haine et la compassion de l’envie de sa position sociale!!! Intellectuels sauvons les petits pêcheurs, les petits artisans, les derniers petits métiers… Non cela ne vous intéresse pas cela ne rapporte ni notoriété, ni argent…
    A l’heure de la haute technologie, nous sommes encore dans les champs de canne avec le commandeur fouet à la main. Et ce commandeur est entretenu par le petit monstre de notre esprit revanchard, envieux, étroit et piétinant, macérant dans un passé esclavagiste qui ne fait pas avancer l’économie de l’île, la mentalité, la société martiniquaise. Je ne tolérerai pas que des Blancs, des Békés dénigrent les miens, mais je ne supporterais pas non plus que l’on manipule les miens pour attiser la haine, la rancoeur envers une autre catégorie martiniquaise, et empêcher ainsi à la Martinique de progresser sur tous les plans. Cessons d’agir plus bas que des volailles qui bectent jusqu’à la mort celles qui soit-disant ne leur ressemblent pas. Je vous convie d’aller méditer devant un poulailler pour analyser votre comportement.
    Roger de JAHAM a mon soutien, je le trouve courageux et vous comment êtes vous?
    Avec lui, nous sommes « Tous Créoles ».
    Lydia

  2. Samuel

    Je suis un jeune entrepreneur martiniquais de 37 ans (noir) qui vient d’écouter par hasard l’émission radiophonique dans laquelle vous avez participé (France Inter je crois).
    C’est à la suite de l’article écrit par G. Dégras sur son propre site (plus que tendancieux) que j’ai voulu prendre le temps d’écouter toute l’émission afin de porter un jugement à mon tour.
    Sans passer pour « soussè », un nègre à blanc ou je ne sais quelle autre débilité, sachez que j’apprécie le travail que vous faites et que vos propos ne m’ont nullement choqué une fois replacés dans le contexte et l’ensemble de l’interview.
    J’en ai marre moi aussi de cette haine qui nous anime, qui nous empeche d’avancer et de tous ceux qui usent du racisme pour le combattre.
    Je suis bien conscient d’ou viennent mes ancêtres mais je sais aussi qui je suis et là où je vais. Je n’ai aucun complexe d’infériorité ou de supériorité par rapport à quiconque et suis à l’aise dans mes basket.
    Cordialement
    Samuel MARIE-LOUISE

  3. Nicole

    Sur ma page Facebook, il y a l’interview de Serge Letchimy par Bondamonjak : toujours la même question des « engagés », sortie de son contexte et Serge Letchimy, qui n’a visiblement pas écouté l’émission, dit que les propos sont « ignobles » et « tout à fait condamnables ». Je trouve grave que le président de la région se prête à ce jeu.
    Amitiés, Nicole

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