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27-Mai à Marie-Galante : la Guadeloupe se souvient…

 

Tony DELSHAM (photo © Dominique CYRILLE)


L’écrivain Tony DELSHAM a été invité à célébrer le 27-Mai, date de commémoration de l’abolition de l’esclavage à la Guadeloupe, et à cette occasion a prononcé un discours à Marie-Galante. Nous vous proposons de découvrir ici son intervention, dans laquelle Tony DELSHAM reprend son analyse de la transmission familiale de la souffrance. 27-MAI À MARIE-GALANTE : LA GUADELOUPE SE SOUVIENT…


Thierry FABULAS, dynamique président de l’Association « Bambou » de Marie-Galante, m’invita donc à une conférence-débat qu’il organisait à l’occasion de la commémoration du 27-Mai, date de l’abolition de l’esclavage des Guadeloupéens. Il me précisa que la lecture de mes ouvrages, dès le banc du Lycée, avait meublé son imaginaire et forgé ses convictions d’aujourd’hui, quant à notre passé. Depuis trente années déjà, en effet, je martèle que cette période, infamante pour le colonisateur, doit être tremplin vers le futur, et non gouffre aspirant. Et, selon ma formule, nous devons : « Savoir le passé pour comprendre le présent et …réussir le futur ». L’anthropologue Diana REY-HULMAN, également invitée, au cours d’un brillant exposé raconta l’histoire exemplaire d’une femme captive, « abrua » en langue anufo, du royaume de Sansanné-Mango, a fourni le tracé pour comprendre comment l’Afrique a pu livrer des millions d’esclaves à l’Europe pendant plusieurs siècles. L’appropriation de la mémoire vraie de d’esclavage doit permettre de briser les chaînes tenues par les « collabo » de l’impérialisme en Afrique et qui entravent encore les descendants des déportés aux Amériques.  
Mon intervention :
L’élément majeur qui permit à l’homme de s’évader de la grotte et de conquérir le monde est, incontestablement, sa mémoire. Une mémoire, livre ouvert et rappel constant de ses réussites, de ses échecs, de ses expériences. Une mémoire, qui permit sa victoire sur le végétal, et sur l’animal. Aujourd’hui, il est concentré sur la conquête de l’espace.  Il en est encore loin, pour la bonne raison que celle de sa planète n’est pas achevée. Cette conquête s’accompagne de souffrances effroyables. En ce moment même, un affrontement, qui ressemble bel et bien à l’heure de vérité entre l’Occident et l’Orient, nous tient en haleine.
Donc, sorti de la grotte, l’homme domestiqua le Végétal et l’Animal. Puis affronta son plus redoutable ennemi, à savoir : son propre miroir. Lui-même, à travers son semblable, l’homme son frère. L’homme, a donc dérangé les affaires de Dieu et a été chassé du Paradis, selon les croyants. Pour les non croyants, l’homme n’est plus directement connecté à la vérité première de l’apparition de la planète terre et tente, à travers la science, de retrouver cette connexion. Cette recherche, hélas, se fait dans les larmes et dans le sang. Car, dans sa quête, au nom de la Religion ou dans sa recherche au nom de la Science, l’homme tue et asservit. Pour cela, il se donne bonne conscience. À ses proches il dit : « Certes tu me ressembles, mais je suis d’ascendance Royale et mon pouvoir est d’origine divine, toi tu es né pour me servir » Aux hommes d’apparence différente il dit : « Vous êtes des êtres inférieurs. Dieu vous a mis sur terre pour nous servir nous, d’essence supérieure ». Alors, il colonise, il instaure l’esclavage. Mais… quel que soit l’humain, quel que soit son statut, esclave ou esclavagiste, existe, pour l’humanité, une boussole incontournable : LA MÉMOIRE …
Chez nous, victimes à la fois du colonialisme et de l’esclavage, nous affirmons avec raison, un devoir de mémoire. Et comment s’exprime ce devoir de mémoire ? Évidemment, à travers des commémorations. Ce, qu’aujourd’hui, nous sommes en train de faire. Partout où il y a des hommes, il y a des commémorations. Des commémorations témoignages qui sont les marches de l’échelle du temps conduisant la planète Terre à sa juste place dans le dispositif prévu par  …Dieu, si vous êtes croyants, sinon à sa juste place dans l’immensité de l’Univers où les étoiles et les planètes se comptent en milliards, si vous faites plutôt confiance à la science.
LE 22 MAI EN MARTINIQUE…
Si vous le permettez, étant directement concerné, je parlerai plutôt du 22-Mai. Constatons que, lorsque l’esclavage a été aboli aux États-Unis, il s’est créé un musée de la mémoire de l’esclavage[i]. Ainsi, l’esclave libéré a pu exprimer sa souffrance, il a pu dire l’enfer subi dans les plantations. Par contre, lorsque le 22 Mai 1848 l’esclave martiniquais brise ses chaines, le pouvoir parisien kidnappe sa mémoire et meuble son présent de nouveau citoyen français, des certitudes et prétentions de la capitale qui avait colonisé et instauré l’esclavage. Le pouvoir parisien a nié l’action de l’esclave, pour ne privilégier que celle de Victor SCHOELCHER. Certes, il ne s’agit pas pour moi de minimiser l’action de ce grand abolitionniste mais d’affirmer la participation fondamentale de l’esclave lui-même, dans le bris de ses chaines.
Je constate plusieurs conséquences directement liées à ce kidnapping.
1) Le deuil de la douleur n’est pas fait : Les révolutionnaires français de 1789, après avoir jugé sa majesté le roi, guillotinèrent celui-ci et la Seine fut rougie des cadavres de sang bleu. Les révoltés du 22 Mai 1848 eux, signifièrent et imposèrent aux esclavagistes l’Abolition ordonnée par le pouvoir parisien, sans traduire quiconque devant un tribunal. Sans guillotiner personne. Cette abolition s’est déroulée dans les conditions que nous savons et n’eut pas les effets escomptés. Après la loi d’Assimilation de 1946, beaucoup se gaussèrent d’un département entièrement à part et non pas à part entière, comme promis. Près de deux siècles plus tard, un bobo lancinant retarde la maîtrise sereine du passé. Alors, au moindre conflit de travail entre un descendant d’esclave et un descendant d’esclavagiste, le passé explose au présent.
2) Une transmission familiale d’une mémoire gorgée de souffrance : La mémoire du peuple français est transmise par le professeur d’histoire. Et, lorsque que ce dernier rappelle les horreurs connues par son ancêtre « Serf taillable et corvéable à merci, » il a le ton d’un professeur qui fait son cours. Chez nous, la mémoire de l’esclavage est transmise par les grandes personnes. Quand une grande personne, âgée de quatre vingt dix ans en 1950, parle de la vie de son père, ou de sa mère, morts à quatre vingt ans, elle parle probablement d’un homme, ou d’une femme, nés… esclaves. Et …elle pleure. Il y a donc une transmission familiale de la douleur chez nous.
3) Une littérature de la victimisation : La réappropriation de notre mémoire et la découverte tardive de notre passé et, surtout, la disparition de la fameuse Cour de Sureté de l’État en 1981, ont entrainé une frénésie du rattrapage conduisant à une littérature de la victimisation accoucheuse d’un arrêt sur image. Notre imaginaire ne se meuble pas de Martiniquais gagnants mais d’une litanie de l’échec, conduisant à un sentiment d’impuissance, avant même d’avoir enclenché l’action.
Je vous remercie de m’avoir écouté et me tiens à votre disposition pour d’éventuelles questions.
Tony DELSHAM


[i] Au début du 20° siècle le gouvernement fédéral ordonna la création du Féderal Writers’Project et du Works Progress Administration dont la mission fut de recueillir le témoignage des quatre millions de noirs nés sous les chaînes et sous le fouet. (Extrait de mon essai Cénesthésie et l’urgence d’Être, paru en 2005)
Télécharger ici le texte : 27-Mai à Marie-Galante, par Tony DELSHAM
Mieux connaître Tony DELSHAM : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/delsham.html  

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